Inspections des manufactures françaises 1851 1865

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Message  Conservateur Lun 14 Déc 2020 - 21:41

Parce que je trouvais ces documents incroyablement intéressants sur l'évolution de l'organisation des manufactures, approvisionnements, technologie entre 1851 et 1865, je vous les mets à dispo (je n'avais pas eu le courage de tout retranscrire...)

Inspection Armes 1852 :
 
Les usines satisfont généralement à tous les besoins du service et les procédés de fabrication continuent à s’améliorer par les modifications apportées à l’installation des usines.
A Châtellerault : la ventilation et l’assainissement du sol des aiguiseries ont produit d’heureux résultats au point de vue de la santé des ouvriers.
A Tulle : l’établissement de l’usine de l’Estabournie en concentrant une partie de la fabrication qui était disséminée sur plusieurs points procure de grandes facilités pour la surveillance et l’exécution des travaux.
A St Etienne : les moyens matériels et personnels dont dispose la manufacture, joints aux richesses que le pays renferme en matières premières, constituent une situation très avantageuse et donne à cet établissement une grande puissance de fabrication.
 
Instruments de vérification : Les instruments types venant du DC sont en bon état et soigneusement conservés ; ils ne servent qu’à vérifier l’exactitude de ceux qui sont faits dans les manufactures mêmes et qui sont entre les mains des employés et ouvriers.
 
Epreuves et réceptions : Les visites, épreuves et réception des armes et pièces d’armes sont faites aux divers degrés de la fabrication, par les contrôleurs et réviseurs, sous la surveillance assidue des officiers d’artillerie, avec la stricte exactitude prescrite par les règlements. L’on s’est particulièrement appliqué à corriger dans la fabrication les défauts et imperfections signalés dans l’examen des armes fait au DC.
Le tableau suivant donne le résultat des épreuves pour les canons des diverses armes du 1er juillet 1851 au 1er juillet 1852 :
Mutzig : 29 843 canons éprouvés (138 crevés)
MAC : 9417 canons éprouvés (49 crevés)
MAT : 22 409 canons éprouvés (97 crevés)
MAS : 17 930 canons éprouvés (27 crevés)
TOTAL : 79 599 éprouvés (311 crevés).
 
Voir tableau de production détaillé par manufacture pour 1852 (production 1852)
 
Procédés de fabrication : Les procédés de fabrication, résultats d’une longue expérience, sont généralement bien entendus et donnent des produits de bonne qualité ; ils n’ont subi que quelques améliorations de détail. Ainsi, à Mutzig, l’adoption d’une petite machine à rendre plus facile et plus régulière la fabrication de la sous-garde, la division du travail appliquée à la platine a procuré une grande régularité et a permis d’augmenter au besoin la fabrication de cette pièce. A la MAC, une décision ministérielle du 1er mai 1852 a prescrit de substituer l’aiguisage en long à l’aiguisage en travers dans la fabrication des lames de tous les modèles de sabres, mesure très favorable au point de vue de la santé des ouvriers. A Tulle, plusieurs mesures actives ont été prises dans les détails de la fabrication, pour tacher de faire disparaître les défauts signalés dans l’examen des armes fait au DC. A St Etienne, la fabrication de la sous garde a été aussi améliorée.
 
Réception des fers et aciers :  A la MAS et à Mutzig les fers employés à la fabrication sont tirés des forges d’Uzemain dans les Vosges, et les aciers proviennent des usines situées dans l’arrondissement de St Etienne. MAT et MAC trouvent leurs métaux dans les localités voisines. Cependant MAC reçoit aussi de la St Etienne ses aciers fondus et raffinés. Tous ces métaux ne sont reçus qu’après avoir satisfait aux visites et épreuves réglementaires et l’on s’assure qu’il n’est employé que des matières de première qualité.
 
Pièces de rebut : elles sont enfermées dans un pièce spéciale, utilisées pour les fusils n°1 ou remises aux ouvriers à qui elles appartiennent après les avoir marquées ou dénaturées de manière à ce qu’il demeure impossible de les employer comme pièces d’armes.
 
Marchés et entrepreneurs :
Les clauses et conditions des marchés des entrepreneurs avec le gouvernement sont exactement remplies.
MAC : le marché des entrepreneurs Creuzé, Proa et Cie ayant expiré le 30 septembre 1851, l’entreprise a été adjugée pour 15 ans le 15 septembre 1851 à Mr Jules Creuzé.
MAS : Messieurs Brunon ont présenté à la fin 1850 au ministre un projet d’établissement à leurs frais d’une usine de martinet, à charge de reprise par l’état à la fin de leur bail. Ce qui nécessite au préalable une étude du régime des eux du Furens.
 
Ouvriers :
Mutzig : 739
MAC : 861
MAT : 1000
MAS : 874
TOTAL : 3474
 
Inspection 1853 :
 
Canons éprouvés :
MAC : 9088 (51 crevés)
MAT : 21822 (86)
MAS : 15 550 (12)
Mutzig : 14 980 (63)
 
Voir tableau : production armes 1853
 
Procédés de fabrication : Les procédés sont convenables et donnent des pièces de bonne qualité.
MAC : la substitution de l’aiguisage en long à celui en travers adopté par suite d’une DM du 1er mai 1852 par les départements de la guerre et de la marine a été reçu avec reconnaissance par les ouvriers et s’exécute sans difficultés. Pour empêcher de trop fréquents rifflages des meules et dans l’intérêt de la fabrication, l’aiguisage de la baïonnette continue à se faire dans une usine séparée.
MAT : l’on a pris toutes les dispositions nécessaires pour améliorer les procédés de la fabrication, notamment en ce qui concerne la platine, conformément aux observations qui résultent de la visite des armes par le DC. Le travail de la baïonnette a fait de notables progrès.
Mutzig : la préparation mécanique des pièces de la platine donne toujours de bons résultats.
 
Réception des fers et aciers :
MAC : tire ses fers des forges de l’Allier, du Cher, de l’Indre.
MAT : des forges de la Corrèze et de la Haute Vienne.
MAS et Mutzig : des forges d’Uzemain, tous les aciers des environs de St Etienne.
 
Inspection armes 1854 :


Détails bâtiments et usines des MA.
 
Canons éprouvés :
MAC : 16 546 (149 crevés)
MAS : 14 656 (27)
MAT : 16 943 (67)
Mutzig : 19 046 (133)
TOTAL : 67 191
Voir tableau : production armes 1854
 
Fers et aciers :
MAC : tire une partie de ses aciers fondus de St Seurin près Bordeaux.
 
Observations générales :
On renouvelle les propositions suivantes déjà faites dans la précédente inspection :
1/ placer dans chacune des 4 MA un capitaine en résidence fixe.
2/ former successivement dans chaque MA une collection des armes à percussion adoptées par les puissances étrangères.
 
Inspection armes 1855 :


St Etienne : les batiments sont plus que suffisants pour les besoins ordinaires de la fabrication. L’usine à vapeur des Rives est assez suffisante pour l’exécution des plus fortes commandes.
Tulle : l’usine de Reygnac, récemment installée, pourra satisfaire désormais à toutes les exigences du service de la baguette et de la baïonnette. Mais le service du canon ne sera réellement assuré pour toutes les éventualités qu’après la reconstruction à Souillac de l’usine n°7 qui menace de tomber en ruines.
 
Canons éprouvés :
MAC : 23 760 (266)
MAS : 32 054 (78)
MAT : 24 016 (72)
Mutzig : 20 188 (133)
 
Voir tableau : production armes 1855
 
Observations générales :
Mêmes demandes que les années précédentes.
Le Comité a porté depuis longtemps son attention sur les avantages qui semblent devoir résulter de la militarisation des contrôleurs d’armes. Il s’occupe en ce moment de l’examen de cette mesure, sur laquelle les divers chefs…
 
 
Inspection armes 1856 :


Tulle : reconstruction de l’usine n°7 dont le projet a été approuvé par délibération du 18 juin 1856 et approuvé par le ministre le 15 juillet 1856.
 
Canons éprouvés :
MAC : 22 389 (371)
MAS : 29 999 (60)
MAT : 28 698 (153)
Mutzig : 21 191 (231).
 
Procédés de fabrication : Ils donnent de bons résultats. Ils ont reçu une modification notable depuis la dernière inspection par l’application du mouton à l’estampage des chiens.
MAC et Mutzig, pour se conformer à ce qui se fait dans les autres MA, ont abandonné le procédé de la double maquette pour la forge du canon. Il en est résulté une économie de matière et de main d’œuvre qui ne paraît, d’ailleurs, avoir nui à la qualité des produits.
Mutzig a adopté la méthode de fraiser l’emplacement de la masselotte sur le canon afin d’avoir la certitude que le logement de la cheminée est entièrement en acier.
 
Pièces de rebut : les prescriptions du règlement sont rigoureusement observées relativement aux pièces de rebut, qui sont rendues aux ouvriers, brisées ou dénaturées, à moins qu’ils ne consentent à les livrer aux entrepreneurs qui peuvent, sous leur responsabilité, les utiliser pour les armes n°1.
 
Observations générales :
Toujours les mêmes.
Le Comité a eu l’honneur de soumettre à l’approbation du ministre un projet de militarisation des contrôleurs dont il a arrêté les dispositions dans sa délibération du 16 mars 1856. Dans l’intérêt du service, cette mesure doit être mise à exécution.
 
Inspection armes 1857 :
 
Canons éprouvés :
MAC : 16 692 (195)
MAS : 25 622 (76)
MAT : 19681 (114)
Mutzig : 19 051 (328)
 
Voir tableau production armes 1857
 
Procédés de fabrication : ils donnent de bons résultats. MAC expérimente l’usage des moyens mécaniques pour le garnissage du canon.
Mutzig : depuis l’abandon en 1856 du procédé de la double maquette pour la forge du canon, la fabrication donne lieu à beaucoup de rebuts, dans les armes rayées.
 
Inspection armes 1858 :


St Etienne : on présente pour la 1ere fois un projet pour l’installation de machines à forer, aléser et polir extérieurement les canons dans les usines C1 et C2 , un projet pour le remplacement du mouvement du ventilateur de l’usine C4 ; un projet semblable pour l’usine C5. Projet compris dans le travail de l’inspection générale de 1857 pour réunir aux Rives tout le service de la manufacture. La dépense pour l’acquisition des terrains qui est présentée comme urgente varierait de 2 à 300 000 francs.
Tulle demande comme en 1857 30 000 francs pour reconstruire le batiment 27 dit du charpentier à Souillac et 9666,26 fr pour batir dans la même localité un pavillon destiné à servir de logement à l’officier de service.
 
Matériel en magasin :
Tulle : une partie des magasins est encombré par 13900 fusils à silex Mle 1822 dont la transformation à percussion est suspendue par suite de l’adoption du fusil Mle 1842 modifié. On demande au ministre qu’il donne un ordre pour débarrasser les locaux qui sont d’une grande utilité.
 
Canons éprouvés :
MAC : 14 019 (88)
MAS : 17 002 (39)
MAT : 17 247 (96)
Mutzig : 13 235 (129)
 
Voir tableau production armes 1858
 
Procédés de fabrication :
MAC est satisfait des essais entrepris pour l’application des moyens mécaniques au garnissage du canon.
Mutzig : la substitution de la tôle au fer dans la fabrication des embouchoirs et l’adoption de l’usage du balancier pour relever le bord de l’entonnoir ont rendu la confection de cette pièce plus économique et diminue les rebuts.
 
Réception fers et aciers :
MAC : principalement forges du Berri, de la Corrèze.
 
Bois : proviennent des localités environnantes des MA, Mutzig en  tire la plus grande partie du Duché de Baden.
 
Marché des entrepreneurs :
MAS : le marché expirant au 31 décembre 1858, a été prorogé pour 5 ans aux mêmes conditions.
 
Ateliers de réparations d’armes :
Malgré le surcroit de travaux occasionné par la modification des fusils d’infanterie Mle 1842, les ateliers de transformation et de réparation marchent avec régularité. MAS cependant, fait remarquer que faute de locaux spécialement affectés à ces travaux, les réparations sont exécutées en grande partie dans les boutiques en ville et même à la campagne, ce qui rend la surveillance difficile et entraine une grande perte de temps pour les ouvriers et les contrôleurs.
  
Inspection armes 1859 :
 
Bâtiments :
Mas : installation laisse beaucoup à désirer, les bâtiments du chef lieu sont loin d’être convenablement appropriés au besoin du service central.
Quant aux anciennes usines à eaux des Rives, signalées comme étant en très mauvais état, leur entretien… renouvelle les différents projets énumérés en 1858.
Tulle, même demande que précédemment.
 
Organisation, travaux MA :
MAS : l’organisation du service répond rigoureusement aux exigences de la fabrication et l’usine à vapeur des rives est assez puissante pour satisfaire aux plus fortes commandes.
Mais il est regrettable que l’installation de cette MA ne soit pas en rapport avec son importance et que par l’état de ses bâtiments, de ses usines et surtout de son mécanisme, elle soit aussi notablement inférieure à tous les établissements industriels situés dans ce grand centre manufacturier.
Les bâtiments étant d’ailleurs insuffisants, l’état a dû louer de vastes locaux appartenant à l’entrepreneur dans lequel sont établis des magasins de bois et les ateliers pour la transformation des armes.
Tulle : les usines construites depuis quelques années fonctionnent bien et suffisent à toutes les exigences de la fabrication de la baguette et de la baïonnette. Après l’installation complète de l’usine n°7 terminée en 1859, ainsi qu’il a été dit ci-dessus et qui commencera prochainement à marcher, le service sera assuré contre toute éventualité.
 
Canons éprouvés :
MAC : 9321 (65)
MAS : 14 402 (25)
MAT : 13 860 (82)
Mutzig : 16 628 (223)
 
Voir tableau production armes 1859
 
Inspection armes 1860 :
 
Bâtiments :
MAC : comme les années précédentes : insuffisance des magasins aux bois et ceux destinés à recevoir en dépôt les armes à réparer.
MAT : suite aux constructions et améliorations ces dernières années : service convenable.
MAS : il n’en est pas de même où les bâtiments du chef lieu sont loin d’être en rapport avec l’importance du service central.
Entretien des anciennes usines des Rives de plus en plus difficile en raison de la vétusté.
Il y aurait un grand intérêt pour l’état et un avantage considérable pour la fabrication à réaliser le plus tôt possible le projet destiné à réunir aux Rives tout le service de la MA, projet dont les plans d’ensemble ont été adressés au ministre en 1857.
La prompte exécution de ce projet paraît d’ailleurs d’autant plus urgente que par l’état des bâtiments et surtout de ses machines, la MAS se trouve actuellement dans une position d’infériorité des plus regrettables par rapport à tous les établissements industriels.
 
Canons éprouvés :
MAC : 16 733 (144)
MAS : 18 494 (117)
MAT : 26 768 (125)
Mutzig : 23 129 (110)
 
Procédés de fabrication :
MAC et MAT continuent d’être satisfaits des essais entrepris pour l’application des moyens mécaniques à quelques détails de la fabrication. MAT a pu constater que les machines employées pour le garnissage et le polissage du canon depuis qu’elles fonctionnent régulièrement, réalisent une économie de 0,33 fr par arme.
 
Inspection Armes 1861 :
 
Bâtiments :
MAS insiste avec raison depuis longtemps sur les inconvénients d’une installation qui laisse beaucoup à désirer sous tous les rapports.
 
Canons éprouvés :
MAC : 19 183 (147)
MAS : 26 707 (112)
MAT : 24 238 (90)
Mutzig : 10 235 (271)
 
Voir tableau : production armes 1861
 
Procédés de fabrication :
MAT : on a profité de l’organisation de l’usine n°7 récemment construite pour y installer les machines dites américaines qui sont appliquées avec succès depuis un petit nombre d’années à la MAC à l’exécution des diverses opérations que comportent le garnissage et l’usinage des canons.
MAC : nouvelle application a été faite de ces moyens mécaniques en mettant à l’essai des raboteuses destinées à remplacer la meule pour l’aiguisage de slames de baïonnettes. Les premiers résultats obtenus, qui sont encore à l’essai, donnent lieu d’espérer que ces machines comme les premières offriront l’avantage d’accélérer la fabrication et de réaliser une économie notable sans nuire en rien à la qualité des produits.
 
Fers et aciers :
Les aciers des 4 MA proviennent des usines situées autour de St Etienne.
Mutzig, outre els fers et aciers achetés dans le commerce, on utilise aussi avec avantage dans la fabrication ceux qui proviennent de la conversion des vieilles pièces d’armes en métaux neufs, opération qui se fait dans les usines de la MA.
 
Marchés entrepreneurs :
Mutzig : le marché passé avec l’entrepreneur le 14 août 1839 pour une durée de 20 ans a été prolongé jusqu’au 1er septembre 1869 par traité du 27 octobre 1869.
 
Inspection armes 1862 :
 
Bâtiments :
MAS renouvelle les observations faites depuis un très grand nombre d’années au sujet de l’installation.
A tous les inconvénients auxquels on ne saurait remédier que par la reconstruction complète de la manufacture projetée depuis longtemps, il faut ajouter celui qui résulte de l’organisation primitive et vicieuse des anciens mécanismes de l’usine à vapeur, ayant pour effet de produire une très grande déperdition de force motrice, ce qui augmente considérablement et en pure perte la consommation de charbon.
Augmentation terrains :
MAS : on a démoli, conformément à une décision ministérielle du 9 mai 1862 le bâtiment H situé aux Rives qui menaçait de s’écrouler.
Mutzig : entrepreneurs ont ajouté un vaste corps de bâtiment dans lequel l’atelier des réparations a été installé.
Constructions :
MAC : travaux d’appropriation de l’usine C2 pour l’installation de nouvelles machines qui doivent être employées dans la fabrication des armes à feu ont donné lieu à une dépense de 26 084,54 fr.
MAT a consacré 10 657,83 fr à l’organisation des mécanismes de l’usine n°7 de Souillac destinée à l’usinage des canons.
 
Constructions neuves, améliorations…
 
Projets MAC.
MAS : on insiste sur l’utilité d’acheter sans délais les terrains nécessaires pour transférer aux Rives tous les services de la MA, mais il est à remarquer que cetet observation a perdu l’intérêt véritable qu’elle présentait au moment où ont été arrêtés les livrets d’inspection générale. Depuis cette époque, en effet, des renseignements pris sur les lieux ayant fait reconnaître que les achats de terrains seraient très dispendieux et très difficiles à réaliser aux Rives, on a dû se livrer à des recherches pour le choix d’un emplacement plus convenable.
Des négociations entreprises dans ce but par l’administration de la guerre auprès des autorités civiles de St Etienne ont abouti à un traité passé le 26 janvier dernier entre le maire de St Etienne et le directeur de la MAS. Aux termes de ce traité que le ministre de la guerre a approuvé et dont la mise à exécution a été déclarée d’utilité publique par un décret impérial du 13 du même mois, le conseil municipal s’est engagé à mettre à la disposition du service de la guerre, pour la somme de 350 000 francs, un terrain de 12 hectares de superficie, situé sur le champ de manœuvre, au Nord et à 400 mètres de l’hôtel de ville et réunissant toutes les conditions désirables pour l’installation d’une MA susceptible de produire annuellement 120 000 armes.
Le reconstruction de la MA réclamée depuis de longues années au nom de l’intérêt de l’état et du service, recevra donc, sans tarder, un commencement d’exécution, qu’il importera de poursuivre avec la plus grande activité, afin d’introduire dans les procédés de fabrication les améliorations dont l’adoption dans ces établissements était forcément suspendue par suite de la certitude de la démolition de toutes les usines actuellement existantes. Il semble d’autant plus urgent d’étendre à St Etienne, comme on l’a fait dans ces dernières années à la MAC et MAT, l’application de l’emploi des machines pour certaines parties de la fabrication, que le recrutement des ouvriers armuriers est signalé comme devenant de plus en plus difficile à cause de la concurrence du commerce des armes, devenu libre par l’effet de la loi du 14 juillet 1860.
Enfin, la prompte exécution de la reconstruction projetée est nécessitée en outre par la convenance de relever la MA de la position regrettable d’infériorité dans laquelle elle se trouve placée, en raison de l’état de ses bâtiments et de ses machines, par rapport aux établissements particuliers situés dans ce grand centre industriel.
Projet Tulle.
 
Examen des établissements et de leurs travaux :
MAC : l’installation des ateliers et des usines, qui a reçu des modifications considérables et en subira encore de nouvelles, par suite de l’extension successive donnée à l’emploi des machines, est en général satisfaisante.
L’outillage de l’usine C1 où sont installées les machines à raboter et à aléser les canons et celles à fraiser les culasses, permet de compter actuellement sur une production de 18 000 armes à feu.
Les usines de l’arme blanche sont suffisantes pour une fabrication de 24 000 sabres de cavalerie ou 40 000 sabres baïonnettes.
On peut en outre confectionner annuellement 1500 cuirasses environ, mais en réduisant de 1/6 à peu près la fabrication des sabres.
 
Canons éprouvés :
MAC : 19 339 (107)
MAS : 32 467 (185)
MAT : 25 863 (70)
Mutzig : 3702 (30)
 
Voir tableau : production armes 1862
 
Procédés de fabrication :
MAC : les procédés mécaniques employés pour l’usinage et le garnissage des canons continuent à donner de bons résultats et réalisent des économies notables. Les machines à raboter les baïonnettes installées depuis l’inspection de 1861 commencent à donner des produits satisfaisants mais jusqu’à présent elles ne paraissent avoir aucun avantage au point de vue de l’économie sur les meules à aiguiser qu’elles sont destinées à remplacer.
MAT : on constate que les machines installées pour la fabrication de quelques parties du canon dans l’usine 7 fonctionnent très régulièrement et il en résulte une réduction de 1,16 fr sur le devis du canon d’infanterie Mle 1857.
MAS et Mutzig n’ont reçu aucune modification.
 
Fers et aciers :
MAT : des forges de Lamarque (Corrèze)
 
Pièces de rebut : jusqu’à ce jour, conformément aux prescriptions du règlement, les pièces neuves rebutées étaient brisées et dénaturées avant d’être rendues aux ouvriers. Mais un DM du 18 décembre 1861 ayant autorisé les directeurs à permettre aux ouvriers de vendre les pièces de rebut aux fabricants munis du permis exigé par le décret du 16 mars de la même année, on se borne dans ce cas à marquer ces pièces d’une empreinte particulière de manière à empêcher qu’elles ne rentrent dans la fabrication de l’état.
Mutzig : aucune autorisation de cette nature n’ayant été demandée, on exécute rigoureusement les prescriptions du règlement.
 
Inspection armes 1863 :
 
Bâtiments, constructions :
 
MAS : conformément aux ordres du ministre en date du 18 février 1863, un projet d’ensemble pour le reconstruction de la MAS, sur un nouvel emplacement, a été adressé le 27 juillet 1863 à St Etienne par l’intermédiaire du général commandant l’artillerie dans la 8e division militaire. La dépense est évaluée à 2 800 000 francs.
 
Travaux, usines :
 
MAC : si l’on adopte la fabrication mécanique de la monture, il sera nécessaire de construire un atelier spécial.
Mutzig : la plupart des ouvriers travaillent à domicile.
Les ateliers où s’exécutent les diverses opérations relatives à la fabrication de l’arme neuve sont convenablement disposés et suffisent amplement au besoin.
MAS : la plupart des ouvriers travaillent à domicile. Le travail des ouvriers à domicile exerce également sur cetet qualité une influence déplorable : la surveillance est devenue très difficile depuis la mise en exécution de la loi du 14 juillet 1860 sur la libre fabrication des armes de guerre. Il est presque impossible d’empêcher les ouvriers qui travaillent chez eux de s’occuper aux armes du commerce. Il en résulte que la destination des matières confiées aux ouvriers peut être changée, en même temps que leur habileté professionnelle se perd nécessairement dans la fabrication d’armes dont la réception a lieu avec des conditions de tolérance inadmissible pour celles de l’état.
Cette situation, dès longtemps signalée par les directeurs de la MAS, et rendue permanente par la libre fabrication des armes de guerre, appelle un remède énergique. Mais l’on ne peut espérer d’y mettre fin que par une reconstitution radicale de la fabrication sur d’autres bases et dans de nouvelles conditions : aussi est-il urgent, à ce point de vue, de donner une prompte suite au projet de reconstruction de l’établissement.
MAY : les canons, une partie de la baïonnette, des baguettes, des chiens et des culasses sont forgés à l’Estabournie à Souillac.
Les cheminées, calibres, proportions et instruments vérificateurs sont fabriqués au chef lieu.
Toutes les autres pièces de l’arme se confectionnent dans des ateliers particuliers en boutique appartenant aux ouvriers, en cille ou en dehors de Tulle. Les centres de fabrication de divers degrés d’importance, 10 existent dans 8 localités situées à différentes distances de Tulle, de 4 km à 60 km.
Le plus important de ces centres est à Treignac, à 40 km. On s’y occupe surtout de platine (fabrication 1700, réparation 600 par mois). Un contrôleur y est détaché. Un capitaine adjoint y est envoyé chaque mois pour vérifier les commandes, signer les livrets, recevoir les réclamations et assure l’exécution du règlement.
 
Canons éprouvés :
MAC : 16 116 (63)
Mutzig : 14 888 (210)
MAS : 26 320 (254)
MAT : 25 885 (112)
TOTAL : 83 209
 
Voir tableau production armes 1863
 
Examen des procédés de fabrication :
MAC : ils sont convenables et donnent de bons produits. Dans la fabrication de l’arme à feu, la division du travail est bien entendue. Pour l’arme blanche, elle laisse à désirer et pourrait être développée.
Les nouveaux procédés mécaniques pour l’usinage et le garnissage du canon donnent de bons résultats en même temps qu’ils sont économiques.
On se loue également de la machine à percer les canons en acier fondu.
MAS : procédés satisfaisants en rapport avec le progrès de l’expérience. Mais les machines et l’outillage appellent une réforme générale.
Dans quelques parties de la fabrication, le travail n’est pas organisé aussi convenablement qu’il le faudrait pour empêcher l’élévation des devis et produire une équitable répartition des gains des ouvriers. Il a été pris des mesures en vue de remédier à cette situation.
Depuis la dernière inspection, on a entrepris la fabrication des canons de fusil en acier puddlé fondu. Bien que l’installation des machines laisse fort à désirer, cette fabrication s’annonce bien et marche régulièrement.
MAT : ils ne laissent pas à désirer. Les innovations introduites en ce qui concerne le canon donnent de très bons résultats. L’usine 7 construite à cet effet paraît devoir satisfaire à tous les besoins du service sous le double rapport de la quantité et de la qualité. Il manque encore 2 machines après l’installation desquelles elle sera livrée aux entrepreneurs, mais elle fournit déjà une économie de 1,16 fr sur le devis actuel du canon d’infanterie Mle 1857.
Presque toutes les machines de cette usine proviennent de Mr de Coster et de Mr Poulet, tous deux ingénieurs à Paris.
L’usine de l’Estabournie a reçu un grand tour à tourner et à fileter pour outillage fourni par Mr Du Commun de Mulhouse.
 
Fers et aciers :
MAC : fers : forges de Bigny et de la Caillaudière (Cher), Uzemain (Vosges), la Grénerie (Corrèze) aciers fondus : Rive de Gier, usines de Pétin et Gaudet et aciers raffinés : usines de Jacob Holtzer (Firminy)
Mutzig : fers : Uzemain et Framont ; aciers : usines de Firminy
MAS : fers : Uzemain, aciers : forges de Bernay, Unieux et d’Assailly.
MAT : fers : forges de Lamarque appartenant aux entrepreneurs, aciers : usines d’Unieux (Holtzer).
 
Bois :
MAC : Vienne, Charente, Deux-Sèvres
Mutzig : Bas-Rhin
MAS : Isère pour la moitié, Drôme, Savoie, Haute-Savoie
MAT : Corrèze (16 fournisseurs), Lot (2 fournisseurs).
Parle de la dessication.
 
Pièces de rebut : les pièces devraient être mises hors de pouvoir être employées, à l’exception des canons qui sont marqués R (article 200 du règlement du 10 décembre 1844). Une décision ministérielle a modifié cette prescription en autorisant les directeurs à permettre aux ouvriers de vendre leurs pièces de rebut à tous fabricants munis du permis exigé par la loi du 14 juillet 1860.
MAC : tous les ouvriers en profitent, aucun inconvénient pour le service.
Mutzig : aucune autorisation de ce genre.
 
Inspection armes 1864 :
 
Bâtiments :
MAS : l’établissement se compose de 2 immeubles : la manufacture et les Rives.
La manufacture renferme tout ce qui constitue le service central : salle des recettes, magasin et bureaux, y compris logement pour directeur et garde.
Les Rives : grande usine à vapeur et divers bâtiments servant d’ateliers.
Ces 2 immeubles sont insuffisants pour les besoins du service. On supplée à cette insuffisance au moyen de bâtiments loués par l’état à l’entrepreneur.
Comme on construit en ce moment une nouvelle manufacture, on a dû restreindre au strict nécessaire les dépenses relatives à l’entretien des bâtiments.
MAT : bâtiments appartiennent à l’état, 3 groupes :
1/ chef lieu : bureaux, magasins, salle des recettes, ateliers de réparation.
2/ l’Estabournie, 1 km de Tulle : usine proprement dite, 2 bâtiments servant d’ateliers et de logement aux employés et ouvriers.
3/ Souillac, 2 km de Tulle : usines, forges, ateliers et logements divers.
 
MAS : terrain de 11,87 hectares sur le champ de Mars, livré à l’état le 31 décembre 1863.
 
Constructions, améliorations :
MAS : construction nouvelle MA divisée en 3 groupes :
1/ destiné à remplacer l’usine des Rives : grande usine, réservoir, usine des meules, magasin à poudre, batiment de l’épreuve et mur d’enceinte, doit être terminé à la fin de l’exercice 1865.
 
MAC : l’introduction des machines pour la fabrication des différentes pièces d’armes nécessite dans la disposition et l’aménagement des usines des modifications et des agrandissements importants dont quelques uns sont exécutés ou en cours.
Lorsque la fabrication mécanique de la monture sera adoptée, construire une usine spéciale à côté de l’usine C5.
Mutzig : la plupart des ouvriers travaillent à domicile, il n’existe d’ateliers que pour les parties de la fabrication qui nécessitent de grands mouvements ou l’emploi de moteurs mécaniques.
Ces ateliers sont bien disposés et suffisent. Usines en bien mauvais état. Construction vicieuse des moteurs hydrauliques et des transmissions de mouvement ne permettent d’utiliser qu’une partie de la force motrice et amènent des chômages nuisibles à la marche régulière du service. Cependant la force du cours d’eau bien utilisée serait plus que suffisante pour remédier à cet état de chose et pour permettre l’utilisation de nouvelles machines outils.
Il y aurait beaucoup à faire pour le mettre au niveau général et il serait bien à désirer que les entrepreneurs fassent réaliser promptement ces améliorations mais leur bail finit en 1869 et comme ils redoutent dans un avenir peu éloigné sa suppression, ils laisseraient sans doute les choses dans leur état actuel en ne faisant que les réparations indispensables.
 
Canons éprouvés :
MAC : 14 029 (49)
Mutzig : 13 519 (188)
MAS : 11 812 (180)
MAT : 21 643 (87)
Total : 61 003
 
Voir tableau production armes 1864
MAC : la commande de 1864 n’a pu être terminée au 31 décembre à cause de la fabrication de 1000 fusils de dragon système Chassepot.
 
Procédés de fabrication :
MAS : l’emploi des machines outils sera exclusivement suivi dans la nouvelle manufacture, mais afin d’éviter l’à-coup qui pourrait résulter d’une transition brusque des anciens procédés aux nouveaux, on a dû introduire un certain nombre de machines outils dans la fabrication actuelle afin de familiariser les ouvriers et chefs d’ateliers avec leur emploi.
La fabrication des canons en acier fondu se fait tout entière par les nouveaux procédés, les machines quoique installées à titre provisoire, fonctionnent bien et donnent de bons résultats.
MAT :ils ne laissent rien à désirer.
Conversion de vieilles pièces d’armes qui sont avantageusement utilisées pour la fabrication des plaques de couche, corps de platine, masselottes, etc.
 
Fers et aciers :
MAS : fers : Breuil (Allier) et Voiron.
 
Bois :
Mutzig : Bas-Rhin, 1/3 : Bade et Bavière Rhénane.
 
Contrôleurs :
L’instruction des contrôleurs est spécialement confiée aux contrôleurs principaux qui les surveillent dans le service spécial dont ils sont chargés et leur enseignent les parties de la fabrication qui leur sont moins familières.
 
Inspection armes 1865 :


Bâtiments, terrains :
MAC : le terrain occupé par la MA a une superficie de 11,80 hectares.
Mutzig : appartient aux entrepreneurs sauf le logement du directeur et du sous directeur.
MAT : bâtiments et terrains appartiennent à l’état. On a procédé à divers travaux d’entretien  courant et de réparation. Le rez-de-chaussée du bâtiment 28 de l’Estabournie doit être transformé pour servir d’atelier de perçage des canons en acier fondu, cette transformation est en cours.
Dans les 4 MA, les travaux ont été faits à l’économie.
 
MAS : construction en voie d’achèvement pour les bâtiments du 1er groupe de la nouvelle manufacture.
On s’occupe du projet des bâtiments du 2e groupe qui seront construits dans le courant de l’exercice 1866.
 
Canons éprouvés :
MAC : neufs en fer : 4653 (25) – neufs acier fondu : 3995
Mutzig : neufs en fer : 16 233 (223) – réparés en fer : 54 356 (10)
MAS : neufs en fer : 13 757 (59) – neufs acier fondu : 2798
MAT : neufs en fer : 30 373 (176)
 
Voir tableau production armes 1865
 
Inspection armes 1866 :
 
MAC : superficie exacte : 11 hectares 42 ares 73 centiares
 
MAS : Etablissement actuel se compose de 3 groupes :
1/Manufacture
2/ Les Rives
3/ Nouvelle Manufacture
Le 1er regroupe encore les magasins aux matières premières, les bureaux de l’entreprise et les logements du directeur et du garde.
Le 2e, outre les bâtiments évacués, le magasin à poudre et la salle d’épreuve du canon.
3e groupe, nouvelle manufacture, comprend depuis le mois d’avril les salles de recettes et d’encaissage, les magasins aux pièces ouvrées, la fabrication du canon, les ateliers de réparations et les bureaux de direction.
----
MAC : on a construit une vaste usine destinée à l’aiguisage des sabres et des baïonnettes. Les terrains se sont accrus de 13 ares 63 centiares. Sur ce terrain se trouve un bâtiment de 330 m2 de superficie ayant au rez-de-chaussée et un étage. On a démoli une petite usine servant à l’aiguisage des baïonnettes et un atelier côté nord.
On a terminé la construction d’un étage au-dessus de l’usine C1.
MAS : la grande usine, les égouts, le réservoir et le mur de clôture sont terminés. L’usine des meules, la salle de l’épreuve, le magasin des poudres, les forges, le magasin etc seront terminés avant le 31 décembre 1867.
 
Canons éprouvés :
MAC : neufs en fer : 2940 (10) – neufs acier fondu : 3971
Mutzig : neufs en fer : 16 620 (287) – réparés en fer : 43 590
MAS : neufs en fer : 6690 (26) – neufs acier fondu : 7790 (2)
MAT : neufs en fer : 25 230 (120)

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Message  Verchère Lun 14 Déc 2020 - 22:25

Je remarque l'apparition de canons neufs en acier fondu, en 1865 et 1866 : comme on pouvait l'espérer le taux de rebut à l'épreuve paraît bien plus faible que les canons en fer (dont le taux de rebut reste modeste).

As-tu des informations précises sur les opérations de fabrication, les machines-outils alors utilisées, etc. ? Ou cela reste-t'il à chercher ? (un certain nombre de "mémoires" d'officiers détachés aux manufactures devrait se trouver à Vincennes).

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Message  Conservateur Mar 15 Déc 2020 - 17:40

Verchère a écrit:Je remarque l'apparition de canons neufs en acier fondu, en 1865 et 1866 : comme on pouvait l'espérer le taux de rebut à l'épreuve paraît bien plus faible que les canons en fer (dont le taux de rebut reste modeste).

As-tu des informations précises sur les opérations de fabrication, les machines-outils alors utilisées, etc. ? Ou cela reste-t'il à chercher ? (un certain nombre de "mémoires" d'officiers détachés aux manufactures devrait se trouver à Vincennes).
Oui, j'ai de nombreuses infos sur les procédés de fabrication, des mémoires très intéressants sur la fabrication des pièces du Chassepot mais je n'ai pas retranscrit ces documents. Il existe nombre de mémoire dans les archives de Châtellerault, dans le fonds ancien provenant de la MAS. Je n'ai hélas jamais eu la chance de mettre le nez dedans... 

En attendant, je te propose cette lecture passionnante... à suivre !

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Message  Conservateur Mar 15 Déc 2020 - 17:52

NOTICE
Sur les travaux accomplis dans les Manufactures Impériales d’armes pour l’exécution des grandes commandes nécessitées
par le changement de l’armement
 
 
Conséquences d’un changement dans l’armement
 
Depuis trente ans environ, trois grands changements ont eu lieu dans l’armement de l’infanterie : les armes à silex ont été transformées en armes à percussion ; celles-ci ont été rayées ; le chargement par la culasse a remplacé le chargement par la bouche. Les deux premiers changements ont pu être apportés aux armes alors existantes et les opérations qu’ils nécessitaient étaient assez simples pour pouvoir être exécutées rapidement et sans que les Manufactures de l’Etat eussent à modifier leur outillage et leurs procédés de fabrication. Le chargement par la culasse, joint à la réduction du calibre, entraînait au contraire le renouvellement complet de l’armement.
 
Or, lorsqu’une grande nation comme la France, change l’armement de son Infanterie, il est indispensable que l’opération se fasse pour ainsi dire en même temps dans tous les régiments, car si, pendant qu’elle a lieu, une guerre venait à éclater inopinément, il en résulterait un danger sérieux surtout si, comme dans le dernier changement, les armes anciennes et nouvelles exigent des cartouches différentes.
 
L’adoption du fusil Modèle 1866 imposait donc l’obligation de fabriquer dans le plus court délai possible, le nombre d’armes neuves correspondant à l’effectif de l’Infanterie, et les Manufactures allaient se trouver aux prises avec certaines difficultés qu’elles n’avaient pas encore rencontrées. Quelques mots suffiront pour peindre leur situation.
 
 
Causes des difficultés que les Manufactures ont eues à vaincre
 
Lorsqu’un industriel veut fabriquer rapidement une grande quantité d’objets de même nature (d’armes par exemple), il commence par établir un type qui satisfasse pleinement au service que l’on attend de l’objet, puis il le décompose dans toutes ses pièces et soumet chacune d’elle à un examen attentif afin de lui imposer les formes qui se prêtent le mieux au travail mécanique. Le type ainsi reconstitué devient le type invariable d’après lequel la fabrication entière sera montée. Telle pièce exigera l’emploi des raboteuses, telle autre demandera des fraiseuses, etc, mais il n’y aura plus ni doute ni hésitation ; le fabricant connaît la série des machines qu’il emploiera ; il en connaît le rendement et par suite le nombre nécessaire à l’exécution de sa commande dans le délai fixé. Par des calculs qui n’ont rien d’incertain, il déduit la force motrice, le genre et la dimension des transmissions de mouvement et enfin la superficie de ses usines et ateliers. Tout marche en même temps, construction ou aménagement de bâtiments, construction des moteurs, des transmissions et des machines outils. A partir de l’établissement de ce type invariable, il n’y a pas un moment de perdu, pas un mouvement faux, pas de retours en arrière, puis tous les éléments sont réunis, l’atelier est en activité et dès le début la production se présente sur une grande échelle. C’est ce que l’on nomme la fabrication méthodique, la seule qu’un industriel sérieux ose entreprendre et qui est exclusivement fondée sur la permanence absolue du type. Qui ne voit en effet que la plus petite variation dans la forme d’une pièce, peut, outre le changement des appareils et guides de la machine, entraîner le changement de la machine elle-même, rendre inutile un outillage construit à grande peine et en nécessiter un autre dont l’achèvement exige des mois ?
 
Or les conditions posées à l’artillerie ne permettaient pas de songer à la fabrication méthodique. Le type était soumis aux variations que les résultats d’expériences non interrompues rendaient nécessaires ; les formes d’un certain nombre de pièces se prêtaient difficilement au travail des machines parce que le temps n’avait pas permis de faire l’étude spéciale à ce point de vue. On voulait une production immédiate par tous les moyens. La fabrication des armes dans les Manufactures de l’Etat était à cette époque, et à juste raison, aussi restreinte que possible, il fallait la développer dans des proportions insolites, construire de nouveaux bâtiments pour des usines, des ateliers et des magasins, faire établir les moteurs, fabriquer les machines-outils, sans indication précise de leur emploi. La fabrication mécanique n’existait dans les Manufactures que pour une petite partie de l'arme à feu ; le personnel employé aux machines était minime, il fallait recruter de nombreux ouvriers et leur faire faire un apprentissage qui pour certaines opérations est fort long. L’adoption du sabre-baïonnette pour tous les fusils entraînait l’établissement de la fabrication de cette arme dans toutes les manufactures et par suite la création d’un matériel et d’un personnel que jusque là Châtellerault possédait seul. En un mot, d’une fabrication qui était à peine de 36 000 armes, il fallait passer immédiatement à une production de plus de 300 000 armes, d’un modèle entièrement nouveau.
 
 
Historique de l’introduction des machines dans les manufactures
 
Il y a peu d’années encore presque toutes les pièces de l’arme étaient fabriquées à la main. Les meules, les bancs de forerie ou d’alésage constituaient la majorité des machines, mais si le mouvement de la machine était mécanique, la pièce n’en restait pas moins dans la main de l’homme dont l’habileté plus ou moins grande faisait la valeur du produit. Quelques tours à canon, quelques machines à fendre les baïonnettes, etc, se rencontraient dans une ou deux des manufactures. L’attention était cependant éveillée par l’exemple donné par l’Amérique et imité par l’Angleterre, on suivait avec intérêt cette transformation radicale dans l’industrie des armes, mais on hésitait à se lancer dans cette voie nouvelle avant d’être suffisamment édifié sur les résultats.
 
Le changement des procédés de fabrication dans les Manufactures de l’Etat était beaucoup plus grave pour la France que pour les Etats-Unis ou l’Angleterre. Les Etats-Unis étaient depuis fort longtemps habitués à faire des travaux mécaniques. L’Angleterre suffisamment édifiée par la guerre de Crimée sur les dangers que court un pays quand il abandonne la fabrication de ses moyens de défense à l’Industrie privée, avait renoncé à ses errements et s’était hâtée de construire à Enfield une Manufacture qui la dispensait d’avoir recours à l’industrie. Elle avait eu table rase, il n’y avait ni établissement préexistants, ni personnel entretenu, elle pouvait donc élever de toutes pièces un établissement pour la fabrication mécanique d’une arme dont le modèle était fixé. En un mot, elle put établir la fabrication méthodique.
 
En France, nous possédions de vastes établissements et un personnel d’ouvriers considérable que l’humanité défendait de renvoyer avant de leur avoir procuré des moyens d’existence. Le changement ne pouvait donc être radical comme en Angleterre, il devait se faire non par une création mais par une transformation du matériel aussi bien que du personnel. Ce travail ne pouvait avancer que peu à peu et ce n’est qu’après avoir vaincu les difficultés, une à une, dans une des Manufactures de l’Etat que l’on pouvait espérer de les lever dans les autres.
 
Une circonstance particulière facilita les études que nécessitait la transformation du matériel. En 1855, un Mécanicien français, M. Kreutzberger, originaire d’Alsace, revenait en France après avoir travaillé pendant plusieurs années aux Etats-Unis où il avait dirigé des constructions de machines pour la fabrication des armes. Le Ministre autorisa l’introduction dans les Manufactures de quelques machines construites par ce Mécanicien, et après quelques années d’essais dont l’issue fut favorable, il décida, sur la proposition du Comité, que M. Kreutzberger serait attaché à l’artillerie en qualité d’Ingénieur mécanicien des Manufactures impériales d’armes.
 
Par sa proximité de Paris, par la concentration de ses usines, Châtellerault se prêtait mieux que tout autre établissement aux essais sur les machines, ce fut donc cette manufacture qui fut choisie pour être transformée la première. Lorsque l’étude d’une machine était terminée, on la faisait construire et elle était dirigée sur Châtellerault où elle était montée et mise en train. C’est ainsi qu’on arriva de proche en proche à fabriquer l’outillage mécanique du canon et à l’installer à Châtellerault d’abord, puis à Tulle et à Saint-Etienne. La manufacture de Mutzig étant abandonnée en principe, on n’eut pas à s’occuper d’y introduire de changement dans les procédés de fabrication.
 
Quelque restreint que fût cet outillage, c’était déjà un grand pas de fait. La routine était brisée et non sans grandes difficultés ; la machine à percer permettait d’adopter l’acier fondu pour la fabrication des canons ; les machines à aléser mécaniquement, les machines à raboter et les fraiseuses remplaçaient les anciens bancs de foreries et les meules ; mais en cherchant à obtenir ces résultats incomplets, on s’était heurté contre un obstacle bien grave, c’était le changement prévu dans le système des armes, changement qui paraissait imminent, malgré l’incertitude ou l’on était encore relativement au modèle qui serait adopté. On courait le risque de construire des machines qui pourraient ne pas se prêter parfaitement à la fabrication d’un modèle alors inconnu et d’établir des appareils qui devraient être forcément mis à la ferraille. Si l’on écoutait les conseils de la sagesse, il fallait attendre et cependant on pouvait facilement prévoir que si d’un jour à l’autre il se produisait une arme d’un modèle acceptable et accepté, il serait nécessaire d’en fabriquer immédiatement un nombre considérable ; tout ce que l’on aurait fait avant cette époque pour l’introduction du travail mécanique dans nos manufactures serait donc une avance peu importante en matériel, mais immense au point de vue de l’initiation qui aurait été imposée au personnel ; on posséderait un noyau qui permettrait de développer plus ou moins rapidement la fabrication mécanique. Ces considérations l’emportèrent et l’on décida à installer les machines pour les diverses pièces du fusil à l’Infanterie, Modèle 1857, au risque d’avoir fait un travail en partie inutile.
 
 
ProdProduction des Manufactures avant l’adoption du fusil Modèle 1866
 
Depuis plusieurs années, on avait autant que possible, diminué la production des Manufactures en armes neuves. Les progrès des études entreprises sur les armes de petit calibre et sur le chargement par la culasse ne pouvaient laisser de doutes sur la proximité du succès et il était évident que dans un temps plus ou moins rapproché toutes les armes se chargeant par la bouche seraient abandonnées. En présence d’un approvisionnement de près de 2 millions d’armes en bon état et par conséquent à l’abri de toute crainte de ce côté, il eût été peu sage de continuer la fabrication du fusil Modèle 1857 sur une grande échelle, aussi les commandes furent-elles réduites au strict minimum et le Ministre donna aux entrepreneurs des Manufactures toute latitude pour accepter et exécuter les commandes de gouvernements alliés de la France. Grâce à cette combinaison, on put réduire la commande pour 1866 à 36 000 armes.
 
 
Situation du personnel et du matériel des Manufactures au moment de l’adoption du nouveau modèle.
 
Au moment où le nouveau modèle d’armes fut adopté, les quatre manufactures présentaient une superficie d’usines et d’ateliers de 19.820 m2. Elles disposaient d’une force motrice de 367 chevaux.
217 machines d’une valeur de 520 000f représentaient la portion mécanique de la fabrication. Une partie seulement était des machines-outils de nouvelle construction. Le personnel se composait de 14 officiers chargés de la fabrication, 100 contrôleurs, 2817 ouvriers. Il y avait en outre 56 capitaines en second attachés aux manufactures pour y faire leur instruction.
 
La production, d’après la commande, était de 36000 armes pour l’armée. La fabrication mécanique n’était encore appliquée qu’au canon. Le personnel était bon, mais les ouvriers étaient attachés à la routine, hostiles à tout changement et souvent malveillants lorsqu’on introduisait une nouvelle machine. Néanmoins, grâce au zèle et au dévouement de quelques contrôleurs intelligents, les directeurs venaient à bout de surmonter ces difficultés que la faiblesse de la commande rendait moins inquiétantes.
 
 
Construction des machines outils nécessaires à l’exécution de la commande de fusils 1866 – Création de l’atelier de Puteaux
 
D’après les commandes faites par le Ministre aux quatre Manufactures, on fixa à 1000 armes la production journalière minimum, ce qui supposait une fabrication d’environ 1200 jeux de pièces, ainsi répartie : Saint-Etienne 600, Châtellerault 200, Tulle 200, Mutzig 200. L’outillage devait être calculé en conséquence et fourni aux établissements dans le plus court délai. La fabrication des fusils devait néanmoins commencer immédiatement par les procédés manuels pour les pièces qui n’exigeaient pas impérieusement l’emploi des procédés mécaniques et prendre une extension progressive au fur et à mesure de l’arrivée et de la mise en marche des machines.
 
La détermination du nombre de machines nécessaires dépendant du rendement de chaque machine ne présentait pas d’autres difficultés, pour celles qui étaient déjà introduites dans les manufactures, que l’appréciation de la différence de rendement provenant de la différence du modèle d’armes, mais la plus grande partie des pièces n’avaient jamais été fabriquées mécaniquement et n’ayant pas le temps de faire une étude méthodique, on dût procéder par analogies. On arriva ainsi à fixer un premier chiffre de 1500 machines comme minimum indispensable. Au point de vue de la régularité de la fabrication, de la facilité d’entretien et de réparations, il était d’une grande importance de ne pas multiplier les modèles de machines. Il n’existait chez aucun constructeur en France de modèles spéciaux pour la fabrication des armes. On aurait pu en trouver en Angleterre ou en Amérique, mais à la condition de fournir un type parfaitement arrêté de toutes les pièces de l’arme, ce qui était impossible à cause des améliorations que le modèle recevait encore de jour en jour et lors même que cette condition eût été acceptable, les constructeurs demandaient un délai considérable pour la livraison. Il fut donc décidé que l’on ferait construire ce matériel en France en employant toutes les ressources disponibles.
 
Dans ce but, les machines furent divisées en trois groupes :
1er groupe comprenant les machines qu’en raison de leur spécialité exigent une fabrication soignée, telles que les machines à percer les canons, les machines à façonner, etc
2ème groupe renfermant les machines d’un usage général dans la fabrication des armes, dont les types principaux sont les aléseuses, les fraiseuses, etc
3ème groupe se composant des machines que l’on trouve dans l’industrie et qui peuvent être employées soit à la fabrication des armes, soit à la réparation des autres machines, comme les tours, les étaux limeurs, ?etc
 
En France, les constructeurs mécaniciens n’avaient pas encore eu l’occasion de confectionner des machines outils pour la fabrication des armes, il n’était donc pas prudent de leur abandonner la fourniture de celles qui sont comprises dans le premier groupe ; en outre, ils demandaient tous que l’Etat mît à leur disposition les modèles des machines qui leur seraient commandées. Il fut donc résolu que l’artillerie construirait les machines du premier groupe et les modèles de celles qui composent le second, que ces modèles seraient remis à divers constructeurs qui offraient de fabriquer des lots de machines et qu’enfin les machines du 3ème groupe seraient achetées dans l’industrie en faisant un choix judicieux parmi celles qu’elle construit d’une manière courante.
 
Pour les machines-outils spéciales et les modèles des machines d’un usage général, Monsieur le Maréchal Randon autorisa l’établissement d’un atelier de construction et après bien des recherches on choisit pour l’installer une propriété industrielle située sur le bord de la Seine, à Puteaux. La prise de possession eut lieu le 15 juillet 1866 et les travaux d’appropriation furent poussés avec une telle activité que le premier septembre l’atelier était en marche. Cet atelier fut organisé ainsi qu’il suit :
Le Colonel Inspecteur des Manufactures d’armes (Colonel René), Directeur
L’Ingénieur mécanicien des Manufactures d’armes (Kreutzberger) chargé de la Direction des travaux.
Un Officier d’Artillerie (Roger) chargé de la comptabilité et de l’administration, et de la direction des travaux en cas d’absence de l’Ingénieur.
 
Un garde, un contrôleur d’armes, un ouvrier d’état. Le personnel d’ouvriers varie de 120 à 140. L’outillage comprend environ 200 machines de toutes sortes.
Les travaux de l’atelier de Puteaux ont porté principalement sur les forgeuses, machines à percer les canons, à polir, à façonner, à mortaiser, etc, etc, qui exigeaient une construction plus soignée que les autres.
La construction des machines-outils du deuxième groupe fut confiée à l’Industrie privée et fut exécutée par une dizaine de constructeurs choisis parmi les plus recommandables dans cette spécialité. Chacun d’eux prit en général une commande d’un certain nombre de machines de même modèle et reçut de l’atelier de Puteaux une machine type entièrement terminée, les modèles en bois pour le moulage des pièces en fonte et tous les dessins et renseignements nécessaires à l’exécution du travail ; 749 machines furent construites de cette manière.
Enfin les machines du troisième groupe, c’est-à-dire celles qui étaient déjà en usage dans l’industrie, furent achetées chez les divers constructeurs qui s’étaient acquis dans chaque spécialité une réputation de supériorité bien établie.
 
Toutes les machines comprises dans les 3 groupes précédents étaient destinées à la fabrication de l’arme à feu, sauf quelques-unes qui devaient être employées à la réparation des autres machines, mais l’introduction du sabre baïonnette dans toute l’armée nécessita aussi la création d’un outillage pour la confection de cette arme dans toutes les Manufactures. Deux branches de cette fabrication menaçaient d’entraver l’essor qu’elle devait prendre : l’aiguisage des lames et la confection des fourreaux. On assura l’aiguisage par la construction de deux grandes usines à Châtellerault et à Saint-Etienne ; quant au fourreau, on fit pour sa fabrication une ingénieuse application des procédés mécaniques de l’étampage, employés dans l’industrie privée. Des jeux de machines pour cette fabrication ont été installés dans les Manufactures de Saint-Etienne, Châtellerault et Tulle et peuvent suffire à une production journalière de plus de 1200 fourreaux.
Indépendamment de toutes les machines qui précèdent, les directeurs en ont fait faire un certain nombre dans les ateliers des Manufactures ou chez des constructeurs résident dans le voisinage des établissements. Ce sont particulièrement des machines qui, en raison de leur simplicité, pouvaient être faites sur place. Le nombre s’élève à 350 environ.
Au fur et à mesure de leur achèvement, ces machines étaient réparties entre les manufactures de manières à y développer la fabrication au prorata de leurs commandes et en équilibrant dans chacune d’elles la production des différentes pièces de l’arme. Les Directeurs recevaient en même temps des instructions sur l’usage de ces machines, sur les précautions à prendre pour les installer et les mettre en marche. Néanmoins, on leur laissa beaucoup de latitude dans l’emploi des procédés, l’usage pouvant leur suggérer des modifications utiles. Toutes les fois qu’une manufacture a mis en œuvre un procédé qu’elle trouve avantageux, on le fait connaître aux autres Manufactures en les invitant à le suivre. C’est ainsi qu’en encourageant l’initiative individuelle, on a produit entre les Manufactures une émulation soutenue, à la faveur de laquelle les meilleurs procédés et par suite l’uniformité s’introduisent peu à peu dans tous ces établissements.
 
 
Travaux d’agrandissement exécutés dans les manufactures
 
Aussitôt qu’on eut pu se rendre compte approximativement du nombre des machines-outils que recevraient les Manufactures, les Directeurs furent invités à adresser des projets de construction ou d’amélioration des usines, ateliers et magasins. On ne peut entrer ici dans le détail de tous les travaux qui furent exécutés dans les Manufactures. En voici les principaux.
 
Châtellerault.
A Châtellerault, on construisit une nouvelle usine de mille mètres de superficie, pouvant recevoir 71 machines-outils et mue soit par une turbine de 50 chevaux, soit par une machine à vapeur de même force suivant l’état des eaux de la Vienne. On acheva en même temps une aiguiserie de 30 meules. L’éclairage au gaz fut introduit.
 
Tulle.
A Tulle, on transforma des bâtiments en ateliers mécaniques et pour remédier à l’insuffisance du cours d’eau, on disposa des locomobiles sur les points où la force motrice manquait.
 
Mutzig.
Le traité qui lie l’Etat aux entrepreneurs actuels de Mutzig expire le 1er septembre 1869, et à cette époque, cette manufacture qui appartient en entier à M.Coulaux, Sütterlin et Cie, doit être abandonnée, conformément à une décision de principe prise lorsque la construction de la nouvelle manufacture de Saint-Etienne a été ordonnée. Il en résultait une position toute particulière pour les entrepreneurs de Mutzig, car l’Etat ne voulait y faire aucune dépense et eux, de leur côté, ne trouvaient pas dans les commandes ordinaires un bénéfice assez considérable pour leur permettre d’améliorer leurs usines qui tombaient presque en ruines. Néanmoins, comme on ne pouvait, dans les circonstances actuelles, négliger ce moyen certain d’accroître la production rapide des armes nouvelles, le Ministre conclut avec la société Coulaux, Sütterlin et Cie un nouveau traité par lequel cette société s’engagea, moyennant une commande de 180 000 armes livrables avant la fin de 1869, à faire à ses frais tous les travaux et à installer tout l’outillage nécessaire à ce développement de la fabrication.
Il y avait beaucoup à faire pour mettre la manufacture en état de suffire à une pareille fabrication. Les usines étaient en mauvais état, les moteurs délabrés, les transmissions détestables, les locaux et la force motrice insuffisantes. Développer la fabrication à Mutzig seul était difficile. L’entreprise se décida à acheter en totalité les établissements de la Bruschwerck et de Framont qui comprenaient, outre les usines, de vastes bâtiments pouvant servir de magasins, de salle de contrôles et de logement.
Les plus grands travaux auxquels donna lieu la nouvelle installation furent les travaux hydrauliques nécessités par l’établissement de nouveaux moteurs.
On citera seulement ceux de Framont à cause de la disposition particulière des turbines. Le cours d’eau a une dépense faible, mais une grande hauteur de chute. On établit en amont d’une première usine un réservoir de 5 000 m3 qui alimente une turbine de 22 chevaux, avec une chute de 5.50m. De là, les eaux sont amenées dans un autre réservoir de 3 000 m3 qui est contigu à une deuxième usine. Mais comme la hauteur de chute n’était pas assez grande pour donner la force motrice nécessaire à cette usine, on a reporté le moteur à 160 mètres en aval. On a ainsi obtenu une chute de 13.50m qui fait marcher une turbine de 54 chevaux, puis le mouvement revient de cette turbine à l’usine par un câble télédynamique.
Les travaux des réservoirs, du siphon et surtout du canal de fuite creusé dans le roc ont présenté de grandes difficultés que la saison pendant laquelle ils étaient exécutés a encore augmenté.
 
 
Saint-Etienne
Les obstacles à surmonter à Saint-etienne étaient plus grands que partout ailleurs, parce qu’on s’y trouvait dans un moment de transition. L’ancienne Manufacture comprenait deux centres : l’un, aux Rives, était destiné à l’usinage, l’autre au milieu de la ville, place Chavanelle était le siège de l’administration, c’était là que se faisaient les recettes définitives et les expéditions. Locaux, usines, moteurs, tout était depuis longtemps dans un état déplorable auquel on ne remédiait pas, la construction d’une nouvelle manufacture étant adoptée en principe. Les études, projets et contre-projets se succédèrent longtemps et toujours sans résultat parce que les crédits manquaient. Ce fut une circonstance heureuse car on ne pensait à cette époque qu’à l’agrandissement des Rives et l’on ne serait jamais arrivé ainsi à posséder un établissement convenable, la pente du terrain d’un côté du Furan et la disposition générale de la localité et du sol sur l’autre rive se fussent opposés à un développement suffisant. Lorsque les ressources spéciales créées par la loi du 28 mai 1864, permirent de construire le nouvel établissement, on avait donc encore le champ libre et l’on pouvait se fixer arbitrairement le chiffre de la production annuelle qui serait imposée à cette manufacture. Sur l’avis du comité, le Ministre adopta le chiffre de 120 000 armes. C’est sur ce nombre que toutes les études furent faites et ceci est important à noter, parce que au moment où la manufacture n’était pas terminée, ce n’est pas 120 000 armes qu’on demanda à Saint-Etienne de faire en un an, mais 150 000 avec sabres-baïonnettes. Or, tandis que le chiffre de 120 000 ne se rapportait qu’à une fabrication installée dans un établissement complètement terminé et possédant des ouvriers formés, celui de 150 000 (porté bientôt à 200 000), était demandée la première année dans un établissement inachevé, avec des ouvriers dont l’instruction était à faire, de telle sorte que maçons, terrassiers, charpentiers, etc, et ouvriers armuriers s’agitaient sur le même terrain. L’on voyait donc tout à la fois les bâtiments s’élever, les moteurs et les transmissions se poser pendant que dans les locaux à peine achevés les machines fonctionnaient et produisaient déjà un nombre d’armes considérable.
La manufacture de Saint-Etienne étant actuellement un des établissements les plus considérable qui existent dans le monde pour la fabrication des armes, on entrera ici dans quelques détails sur sa création.
Au Nord de la ville de Saint-Etienne, à la sortie de la route de Roanne, entre cette route et le chemin de fer de Saint-Etienne à Paris, s’étendait un terrain de 12 hectares environ, nommé le Champs de Mars. Ce fut le point choisi par le Département de la Guerre pour y élever le nouvel établissement. La ville de Saint-Etienne qui vendait ce terrain à l’Etat se chargea des travaux de canalisation et de redressement du Furens et concéda gratuitement le volume d’eau nécessaire pour le service de la Manufacture et l’alimentation des machines à vapeur.
Immédiatement après la promulgation de la loi du 28 mai 1864, on s’occupa des projets de la grande usine centrale et du réservoir d’eau. ils furent approuvés le 5 juillet et les travaux commencèrent aussitôt. Les projets étaient établis en vue d’une fabrication de 120 000 armes, sans sabre-baïonettes, c’est-à-dire d’un modèle analogue au modèle de fusil 1857.
La nouvelle manufacture devait se composer des bâtiments indiqués ci-dessous :
Au centre, un massif composé de quatre usines séparés par des cours intérieures mais jointives à leurs extrémités, mises en mouvement par quatre machines à vapeur placées au centre, accouplées deux à deux et d’une force nominale totale de 320 chevaux. Ce massif est désigné sous le nom de grande usine.
Au Nord de la grande usine, un bâtiment contenant une aiguiserie de 32 meules, un atelier de 36 polissoires et l’atelier de la trempe. Le mouvement est donné par une machine à vapeur de 100 chevaux……..
A l’Est, le bâtiment des forges muni d’une machine à vapeur de 80 chevaux.
Au Sud, un bâtiment contenant l’atelier de précision, l’atelier de réparations de machines et une fonderie, le mouvement étant donné par une machine de 40 chevaux.
A l’Ouest, du côté de la rue de Roanne, c’est-à-dire du côté de l’entrée, un vaste bâtiment à deux étages pour l’achevage et deux bâtiments d’administration, l’un pour la Direction, l’autre pour l’entreprise ; enfin les logements du Directeur et des sous-directeurs.
Dans la partie du terrain la plus au Nord, une grande cour entourée de vastes magasins pour les matières premières, et contenant le bâtiment du lessivage des bois ; à peu de distance, la salle d’épreuves et le magasin à poudre.
Enfin, logeant le chemin de fer, un vaste réservoir pouvant contenir 12 450 m3 d’eau, et destiné à recevoir l’eau de fontaine fournie par la ville, ainsi que les eaux de condensation revenant des machines à vapeur.
Comme on désirait abandonner le plus tôt possible l’ancienne manufacture, on avait commencé naturellement la construction par les usines et le réservoir d’eau. On menait les travaux activement mais sans précipitation.
Au moment de l’adoption du fusil Modèle 1866, voici quel était l’état de la nouvelle manufacture : 1/8 de la grande usine disponible ; l’aiguiserie du côté Nord à peu près achevée ; les fondations des forges, de l’atelier de précision et des magasins, à divers états d’avancement. Les travaux exécutés par la ville pour le redressement et le recouvrement du Furens se terminaient et l’on travaillait au vaste réseau d’égouts et de conduites qui sillonnent le terrain sous la manufacture.
Saint-Etienne se trouvait donc dans une situation fort critique et par le fait très inférieure comme ressources aux autres manufactures, car tandis que celles-ci avaient surtout à agrandir ou aménager des bâtiments existants, Saint-Etienne devait construire à neuf. L’ordre fut donné au Directeur de presser l’achèvement de tous les bâtiments à la fois et grâce au zèle infatigable du Capitaine chargé des constructions, on vit en quelques mois s’élever ou se terminer, les magasins, l’aiguiserie, les usines centrales qui recevaient au fur et à mesure leurs moteurs et leurs transmissions et prenaient part successivement à la production. La salle d’épreuves et le magasin à poudre étaient livrés au service avant la fin de 1866, et à la même époque les bureaux de la direction et de l’entreprise étaient établis à l’aide de cloisons provisoires dans les bâtiments de façade de la grande usine. Pendant les années 1867 et 1868, les logements des Directeurs et sous directeurs et les bâtiments d’administration furent construits et l’établissement sera complètement terminé dans le courant de 1869.
Malgré l’étendue des usines et bâtiments, la fabrication y est très à l’étroit pour deux raisons : d’abord, pour ce que la manufacture a été projetée pour une production de 120 000 armes au lieu de 200 000, mais surtout parce qu’on ne s’attendait pas à ce que le fusil nouveau serait garni d’un sabre baïonnette. On s’était préoccupé d’une aiguiserie pour les canons et les baïonnettes, ce qui est peu de chose en comparaison dune aiguiserie de lames de sabres.
Lors donc qu’à la fin de novembre 1866, l’Empereur adopta le sabre baïonnette à la place de la baïonnette et que l’ordre fût donné à chaque manufacture de fabriquer cette arme, Saint-Etienne se trouva dans la nécessité de créer une fabrication inconnue dans le pays.
Pour une commande minimum de 150 000 sabres-baïonnettes par an, il fallait non seulement trouver des ateliers pour 1 500 ouvriers, mais il fallait monter une aiguiserie de 100 meules au moins avec les polissoires correspondantes. Cette usine fut construite et mise ne marche en moins d’un an. Elle est mue par une machine à vapeur de 120 chevaux.
La superficie des usines à Saint-Etienne est d’environ 22 000 mètres carrés. 330 colonne en fonte supportent avec les murs environ 10 kilomètres de poutres en fer double T. l’usine centrale en compte à elle seule 6 659 mètres ; elle renferme 600 arbres de renvoi et plus de 2 500 poulies indépendantes des machines. La longueur de ses transmissions est de 2 217 mètres. La force motrice est de 660 chevaux, force nominale qui peut facilement être portée au besoin à 800 ; elle est répartie sur 8 machines à vapeur à détente et à condensation dont la marche ne laisse rien à désirer. Pour éclairer ces vastes ateliers, les cours et les abords, on a installé une grande conduite qui amène le gaz du gazomètre de la ville, placé vis-à-vis la manufacture et par un réseau de petites conduites le distribue dans tout l’établissement. Le développement des tuyaux est de 8 kilomètres ; il faut ajouter 6 kilomètres de tuyaux en caoutchouc. Le nombre des becs est de 2300, dont 2 000 dans les usines. Le service des eaux a nécessité 1 800 mètres de conduites en fonte et 900 mètres de conduites en ciment. Ces chiffres indiquent quelles vastes proportions possède la nouvelle manufacture, mais elle était encore insuffisante pour produire 200 000  armes dans l’année. non seulement il a fallu conserver et agrandir tous les ateliers de la Place Chavanelle et réinstaller la fabrication à l’usine des Rives, mais il a fallu encore avoir recours à de grands établissements appartenant à l’Entrepreneur.
En attendant que la nouvelle aiguiserie de la manufacture fût construite, il fallait assurer la fabrication du sabre-baïonnette ; à cet effet, et d’après une convention passée entre le Ministre et l’entrepreneur, celui-ci installa à ses frais, aux Rives, une aiguiserie de 48 meules, une fonderie et des ateliers de monteurs.
Les quatre établissements en dehors de la nouvelle manufacture (Chavanelle, les Rives, l’Heurton et les usines de la rue Désirée) apportaient aux ressources un appoint de 8900 m2 et l’espace manquait toujours pour les limeurs. Il fallut construire le long des magasins de la nouvelle manufacture un nouveau bâtiment pouvant contenir 400 ouvriers. Les autres ouvriers limeurs au nombre de plusieurs milliers travaillent dans la ville et dans les villages environnants.
En récapitulant ce qui vient d’être dit de la nouvelles manufacture et des quatre annexes on trouve une superficie (non compris les hangards) de 30 900 m2 pour les usines et ateliers et une force motrice nominale de 720 chevaux.
 
 
Résumé des travaux d’agrandissement dans les manufactures
 
En résumé, les travaux exécutés dans les quatre manufactures ont porté la superficie des usines et ateliers de 19 820 m2 à 60 022 m2, et la force des moteurs de 367 chevaux vapeur à 1463.
 
 
Mise en marche des machines outils
 
Au fur et à mesure de l’achèvement des machines on les expédiait sur les Manufactures, autant que possible dans la proportion de 1 à Châtellerault, 1 à Tulles, 3 à Saint-Etienne, (Mutzig étant outillé directement par les entrepreneurs) c’est-à-dire dans la proportion des chiffres de la production exigée. Les travaux de construction ou d’aménagement n’étant pas terminés au moment de l’arrivée des premières machines, il fallut pour ne pas les laisser, même quelques jours sans emploi, les installer où il y avait de la place. Il en résulta des déménagements fréquents, des pertes de temps forcées, et des difficultés de surveillance qui n’eussent pas existé si l’on eût pu procéder méthodiquement.
 
Cette difficulté d’installation que faisait naître la précipitation avec laquelle on était obligé d’opérer se présenta également dans l’installation de la fabrication. Dès que dans une manufacture il arrivait des machines, on cherchait à les utiliser de suite pour le travail d’une pièce. L’opération mécanique que l’on faisait n’était pas toujours la meilleure, parce que la machine convenable n’était pas encore terminée. Mais les appareils étant faits et mis en place et les ouvriers habitués à un genre de travail, on produisait et une fois en marche on n’osait plus, de peur de ralentir momentanément la fabrication, changer le procédé lorsqu’on avait reçu la machine convenable. La construction et l’ajustage des appareils, la mise en marche d’une machine, exigent de 15 jours à un mois ; on ne pouvait se permettre une semblable interruption et l’on remit à une époque plus calme la répartition méthodique du travail.
Ici se présente une objection qui ne peut manquer d’avoir été faite, c’est que les pièces du fusil Mle 1866 fabriquées en ce moment dans nos manufactures, ne sont pas échangeables ; tandis que les pièces des armes anglaises et américaines jouissent de cette propriété. Ceci tient à deux causes : la première, c’est que dans ces deux pays on a imposé aux pièces les formes exigées par les mécaniciens pour le travail des machines, tandis qu’en France les manufactures ont dû accepter et fabriquer tel quel le type de l’arme parce qu’on voulait une production immédiate et que la nouvelle étude qu’il aurait fallu faire au point de vue des machines aurait exigé un temps assez long ; la seconde, c’est que dans l’impossibilité où l’on s’est trouvé d’employer dès le début les machines les plus convenables pour chaque opération et dans l’obligation où l’on était de produire à tout prix, on a dû se contenter souvent de dégrossir à la machine. Ces deux causes réunies ont entraîné l’emploi d’une grande quantité de limeurs ; or, pour qu’une fabrication produise des pièces identiques, une des premières conditions est qu’elle soit entièrement mécanique. Ce résultat sera obtenu lorsqu’on n’aura plus à répondre aux exigences d’une production forcée.
 
Du reste, que les pièces de l’arme soient ou non échangeables, c’est une question de fabrication et de réparation bien plus que de service et peu importe au soldat que les pièces de son arme aient besoin d’un léger ajustage chez le chef armurier, lors des remplacements. Les pièces du fusil 1866 qui doivent être remplacées par le soldat lui-même (aiguille, tête mobile, rondelle de caoutchouc, etc) sont échangeables et cela suffit pour que l’on soit tranquille sur l’usage de l’arme.
L’échangeabilité des pièces est une facilité pour les réparations dont il ne faut pas se priver, surtout en campagne, parce qu’il est évident qu’un même nombre d’hommes peut dans le même temps remettre en état une plus grande quantité d’armes que lorsqu’il y a des ajustages à faire, mais on peut dire qu’actuellement il y a beaucoup de chances pour qu’une guerre soit finie avant que les armes soient réunies dans les ateliers de réparations.
 
 
Augmentation du personnel
Recrutement des ouvriers
 
Les difficultés d’installation étaient grandes, mais c’était relativement peu de chose en comparaison des difficultés que présenta le recrutement du personnel. Les officiers dirigeants, (je laisse de côté les Officiers envoyés en manufacture pour leur instruction) étaient au nombre de 3 à Châtellerault, à Tulles, à Mutzig et de 5 à Saint-Etienne ; on adjoignit un lieutenant d’ouvriers à chacun des Capitaines chargés des bâtiments à Châtellerault, Saint-Etienne et Mutzig, ce qui donna un total de 17 officiers. C’est l’existant actuel. Le nombre des contrôleurs dût être considérablement accru et comme on ne pouvait augmenter les cadres, on eut recours à des contrôleurs provisoires recrutés de diverses manières. On prit tous les contrôleurs en retraite qui demandèrent ou consentirent à rentrer ; on employa comme contrôleurs provisoires tous les candidats au grade de contrôleurs admis par le Comité, puis ceux qui avaient été proposés par les Directeurs et ajournés soit par le comité, soit par les Inspecteurs généraux ; enfin les ouvriers que les directeurs jugèrent aptes à remplir ces fonctions. Après avoir épuisé toutes ces catégories, on manquait encore de contrôleurs. Monsieur le Ministre de la Marine a bien voulu, sur la demande du Ministre de la Guerre, mettre à la dispertion du directeur de Saint-Etienne 15 employés de son département.
 
La manufacture de Châtellerault ayant fabriqué les 500 armes pour les essais du camp de Châlons, avait déjà une certaine expérience de la fabrication mécanique et pouvait au moins en signaler les points délicats. Elle devait en outre servir d’école pour la fabrication de l’arme blanche dont jusque-là elle avait eu le monopole et qui était à créer dans les trois autres manufactures. Des officiers, contrôleurs et ouvriers choisis par les directeurs de Saint-Etienne, Tulle et Mutzig, furent donc envoyés à Châtellerault pour être initiés à la nouvelle fabrication. Ce personnel d’instruction ainsi formé retourna à son poste au moment où l’arrivée des machines nécessita sa présence ; mais en ce qui concerne l’arme blanche en particulier, son instruction ne pouvait être assez complète pour assurer immédiatement le service et il fallut désorganiser Châtellerault pour organiser les autres établissements. On ne laissa dans la première de ces manufactures que 3 contrôleurs de l’arme blanche, on lui enleva les autres ainsi que les meilleurs ouvriers susceptibles de remplir les fonctions de contrôleurs dirigeants.
 
Châtellerault dut se réorganiser comme il put. Heureusement que son personnel d’ouvriers de l’arme blanche était assez fortement constitué pour que le ralentissement dans sa production ne fut pas sensible.
Le personnel des ouvriers comprend trois catégories : les ouvriers immatriculés, liés au service par un engagement qui leur assure une retraite, les ouvriers libres qui peuvent quitter les manufactures en prévenant trois mois à l’avance ; les ouvriers militaires détachés temporairement de leurs corps par ordres ministériels. Aux époques de grands développement de la fabrication, ce sont les deux dernières catégories que l’on augmente le plus possible parce qu’elles ne grèvent pas le budget de l’Etat pour l’avenir ; la troisième catégorie surtout, celle des ouvriers militaires, présente ce grand avantage d’être composée de soldats que l’on peut renvoyer à leurs corps lorsque les commandes diminuant, l’ouvrage vient à manquer. Si l’on tient compte des diverses professions que l’ancienne fabrication exigeait, on n’y trouve aucun mécanicien, aucun outilleur, très peu d’ajusteurs, tandis que dans la nouvelle ce sont les ouvriers les plus nécessaires. Les dresseurs de canon étaient peu nombreux et leur profession comptait parmi les plus difficiles et les plus longues à apprendre.
Aujourd’hui il faut autant de dresseurs qu’il y a de machines à percer et à aléser, c’est-à-dire plus de 250. Les ouvriers d’un certain âge furent très difficiles à mettre à la nouvelle fabrication et ce fut parmi les plus jeunes que l’on recruta les meilleurs conducteurs de machines. Dans chaque manufacture, on commença par donner de l’ouvrage à pleins bras aux ouvriers inscrits ; on recruta ensuite dans la localité et dans les environs des jeunes gens que l’on forma comme élèves, enfin on eut recours aux soldats qui avaient travaillé en manufacture avant d’être appelés sous les drapeaux, et en dernier lieu, le Ministre fit désigner par les Chefs de Corps des soldats dont la profession première permettait d’utiliser le travail dans les manufactures.
 
Par suite de ces diverses mesures, le nombre des contrôleurs a été porté de 100 à 180 et le nombre des ouvriers de 2817 à 10 505, ce dernier chiffre ne représente du reste qu’imparfaitement le nombre réel des ouvriers qui travaillaient à la Commande parce que tous ne sont pas inscrits. Parmi les ouvriers qui travaillent chez eux, il en est qui ont de petits ateliers où ils occupent plusieurs personnes, surtout de leur famille, de sorte qu’on peut évaluer à 15 0000 le chiffre réel. En calculant, comme on le fait habituellement trois têtes par famille, en moyenne, (sauf pour les ouvriers militaires), on voit qu’en ce moment 30 000 personnes au moins vivent du travail provenant de la commande.
 
Les ouvriers militaires ont nécessité des mesures spéciales au point de vue de la discipline et de la vie matérielle. Le nombre en était trop considérable pour qu’il y eut possibilité de les mettre en subsistance, et la surveillance disciplinaire eut exigé une quantité de sous-officiers qui auraient fait défaut à leur corps et qui se seraient perdus dans le genre de service qu’on aurait eu à leur demander. Il a paru beaucoup préférable de considérer ces militaires comme des ouvriers ordinaires ; la punition suspendue sur leur tête en cas de mauvaise conduite ou de négligence dans le travail est le renvoi à leurs corps. Dans le cas de négligence ou d’incapacité, le renvoi est pur et simple ; dans le cas de mauvaise conduite ou d’insubordination, il est accompagné de 30 jours de prison avec mise à l’ordre dans l’établissement. Les quatre Directeurs sont unanimes à reconnaître que par ce procédé ils sont complètement maîtres des ouvriers militaires.
 
Par leur position géographique, Saint-Etienne et Mutzig se trouvent, pour le recrutement des ouvriers, dans de meilleures conditions que Tulle et Châtellerault ; ce sont ces deux dernières manufactures qui ont surtout eu besoin des ouvriers militaires. Pour compenser la pénurie extrême d’ajusteurs qui existait à Tulle, on y envoya temporairement deux détachements des 1ère et 5ème compagnie d’ouvriers d’artillerie et un détachement de 33 hommes de la compagnie d’armuriers, commandé par le Capitaine en second.
 
A Saint-Etienne, la surveillance était très difficile dans la nouvelle manufacture, parce qu’il y avait de grands travaux de construction de bâtiments en cours d’exécution, et que par conséquent une foule d’ouvriers et d’individus étrangers à la fabrication des armes circulait dans l’intérieur de l’établissement. Il a fallu recourir à des moyens extrêmes et envoyer un détachement de 12 sous-officiers qui sont à tour de rôle de planton dans les usines et en expulsent tous ceux qui n’ont pas le droit ou l’autorisation d’y séjourner.
 

Suite...

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Inspections des manufactures françaises 1851 1865 Empty Re: Inspections des manufactures françaises 1851 1865

Message  Conservateur Mar 15 Déc 2020 - 17:54

Suite et fin...


 
Mesures prises pour élever rapidement le chiffre de la production
 
 Après avoir indiqué comment on a procédé pour l’installation des machines et le recrutement du personnel, il reste à faire voir comment a été menée la fabrication afin d’arriver le plus rapidement possible à une production élevée.
 
Dans le début, comme les manufactures n’avaient aucun type, puisque le modèle n’était pas encore arrêté, on dut se contenter de percer le plus de canons possible avec les machines à percer qui existaient déjà. On les fit travailler jour et nuit, non seulement pour accroître le produit, mais encore pour former des perceurs de manière à ce qu’au fur et à mesure que l’Atelier de Puteaux expédiait de nouvelles machines il y eut un personnel tout prêt pour les conduire. En attendant que Mutzig qui n’avait pas de perceuses en reçu, on le fit approvisionner de canons percés à Saint-Etienne. Pour toutes les autres pièces, on fut obligé d’attendre que des modèles fussent définitivement arrêtés. Ils furent établis à Châtellerault qui ne put commencer à les expédier aux autres manufactures qu’à la fin d’octobre 1866. Ce ne fut donc qu’à cette époque que dans ces derniers établissements l’on put s’occuper de faire les étampes, calibres, mesures, etc, et commander les pièces de forge, en sorte qu’on peut dire que ce n’est qu’en janvier 1867 que la fabrication a réellement commencé. Les approvisionnements de matières ou de pièces de forge furent aussi une cause de retard. Il n’y avait à cette époque que les usines d’Assailly qui fussent en état de fournir de bons aciers fondus pour les canons et certaines autres pièces. Ces usines livraient déjà les aciers pour canon ou les canons de forge aux manufactures de Châtellerault, Tulle et Saint-Etienne, mais en petite quantité puisque les commandes étaient très faibles. Prises au dépourvu lors des fortes commandes qui leur furent faites, elles durent installer de nouveaux moyens de production.
 
La fabrication des pièces qui présentent une grande analogie avec celles des anciennes armes ne rencontra pas d’autres difficultés que celles qui proviennent de l’extension de la production, mais pour les parties de la nouvelle arme qui demandent un ajustage spécial et une précision à laquelle on n’était pas accoutumé, il fallut créer des ateliers d’ajusteurs que l’on recruta très difficilement. Pour la monture, il fallut former de très nombreux élèves. Plusieurs mois d’apprentissage étaient nécessaires pour leur instruction et ce n’est qu’au bout d’un temps assez long qu’on obtenait d’eux le maximum du travail, bien que la monture fût divisée par parties exécutées dans des ateliers séparés, ce qui rend les apprentissages plus faciles.
 
L’atelier de Puteaux possédait un groupe de machines américaines à faire les montures. Ces machines avaient été construites pour le fusil de Springfield, analogue à notre ancien modèle et par conséquent tout-à-fait différent  du fusil Modèle 1866. On s’occupait de leur transformation, mais ce travail dut être arrêté par suite des modifications successivement apportées aux formes de diverses pièces de l’arme. Il est actuellement terminé et ces machines vont être prochainement mises en service.
 
Néanmoins comme la fabrication mécanique du bois entraîne implicitement l’identité des autres pièces, identité qui par les motifs indiqués plus haut a dû être négligée au début de la production, on ne doit pas trop regretter que les machines à bois ne soient pas encore dans nos établissements.
 
Sauf à Châtellerault où la fabrication se trouvait déjà installée sur une petite échelle par suite de la confection des fusils d’essai, les armes ne commencèrent à sortir des manufactures que vers la fin d’avril 1867.
La production journalière fut de 330 en mai 1867, au mois d’août, elle était de 500. Elle atteignit 1000 en décembre. Elle fut portée à 1200 en mai 1868, à 1300 en août, à 1400 en octobre. Ce chiffre aurait été facilement dépassé si dès le mois de juillet, les directeurs n’eussent reçu l’ordre de ralentir la fabrication.
 
 
Fabrication de petites pièces
 
 Le fusil Modèle 1866, par cela même qu’il se charge par la culasse, est d’une fabrication plus difficile que celle de l’ancien fusil de guerre ; certaines pièces et particulièrement celles qui sont intimement liées au système d’obturation, sont d’une confection délicate qui exige un matériel et un personnel tout particulièrement organisé en vue d’un travail de précision. Bien que les Manufactures aient de tout temps possédé des ateliers de précision dans lesquels les produits ne laissent rien à désirer sous le rapport du fini du travail, on avait lieu de craindre qu’ils ne fussent pas en état de faire face à tous les besoins du service, car malgré le développement qu’ils avaient reçu, ils suffisaient à peine à la confection des calibres et instruments vérificateurs.
La fabrication de ces pièces délicates reposant surtout sur l’habileté professionnelle des ouvriers, ne pouvait s’improviser dans un jour et afin de donner aux manufactures le temps de développer cette branche importante de leur service, on résolut de faire momentanément appel au concours de l’industrie privée, et l’on s’adressa à des fabricants de pièces d’horlogerie très avantageusement connus dans cette spécialité. Les pièces mises en commande et désignées sous le nom de petites pièces sont au nombre de cinq, savoir : la tête mobile, la tige porte-aiguille, le manchon, l’aiguille et la roulette.
 
 
Fabrication des obturateurs
 
Les rondelles obturatrices en caoutchouc vulcanisé, en raison des préparations particulières qu’exige cette matière, sont prises exclusivement dans l’industrie et il ne paraît pas y avoir lieu d’installer cette fabrication dans les Manufactures Impériales.
 
 
 
Considération sur la fabrication des armes de guerre par l’Industrie privée
 
Le concours que l’Industrie privée peut apporter aux Manufactures de l’Etat pour l’exécution des commandes d’armes n’est pas à négliger, mais on ne doit y faire appel qu’avec une extrême réserve et jamais pour des armes complètes. L’expérience de ces deux dernières années a été concluante à cet égard et l’on peut maintenant repousser victorieusement une opinion qui semblait se répandre de plus en plus et qui ne tendait à rien moins qu’à abandonner à l’industrie la fabrication des armes de guerre. Il faut en effet remarquer qu’une industrie ne peut vivre qu’à la condition de trouver un écoulement régulier de ses produits ; toute intermittence lui est fatale et les industriels sont exposés à une ruine d’autant plus complète que la stagnation des affaires succède plus brusquement aux fortes commandes. C’est précisément le cas dans lequel se trouve habituellement l’Industrie armurière. Quand la guerre est imminente, les demandes d’armes affluent de tous côtés, la paix est-elle conclue, toute commande cesse et à une activité fébrile dans les manufactures d’armes succède un calme plat.
C’est ainsi qu’en Amérique, à la fin de la guerre de la Sécession, toutes les fabriques d’armes sont complètement tombées. Elles ont été appropriées à d’autres industries et en ce moment les fabricants demandent une année entière pour les réorganiser avant de pouvoir livrer une seule arme. Si donc l’Etat voulait trouver, dans l’industrie privée, des établissements constamment prêts à fabriquer des armes, il faudrait qu’il donnât aux fabricants des commandes pendant la paix uniquement pour entretenir leur industrie.
De plus, le grand nombre d’éléments dont se compose une arme exige que toutes ces pièces soient examinées avec soin avant d’être mises en œuvre si l’on veut qu’elles fonctionnent bien sans se détériorer rapidement. L’Etat devrait donc avoir un grand nombre d’agents, toujours présents chez les fabricants auxquels il ferait des commandes, uniquement pour procéder aux visites des pièces d’armes et ce personnel devrait être constamment entretenu pour être prêt à toute éventualité. Sans parler de la position difficile qui serait faite à ces employés, par suite des obsessions auxquelles ils seraient exposés de la part des fabricants, il faut ajouter que cette surveillance privée n’ayant d’autre mobile que l’appât du gain, cherche toujours à se procurer des bénéfices, même en n’exécutant qu’imparfaitement ses engagements. Complètement indifférent au service que sont appelées à faire les armes qu’il fabrique, n’ayant point à se préoccuper des perfectionnements dont elles sont susceptibles et que l’expérience peut faire reconnaître, l’industriel exige avant tout la performance des types, il repousse toute amélioration, et s’il consent à accepter des modifications, ce n’est qu’après s’être fait allouer des dédommagements souvent exorbitants.
 
Enfin, l’Industrie privée érigeant en principe que le travail n’a pas de patrie n’hésiterait pas à chercher à faire passer à l’étranger les armes fabriquées pour l’Etat, si par suite d’éventualités politiques, elle y trouvait un bénéfice. Il faudrait donc que le gouvernement prohibât, dans ces circonstances, l’exportation des armes de guerre, s’il ne voulait être exposé à voir passer à l’ennemi celles qui lui étaient destinées. Ces prohibitions produisent toujours des récriminations de la part des industriels et en tous cas elles ont le grave inconvénient de divulguer des projets que le gouvernement a souvent intérêt à tenir secret.
Ainsi donc l’Etat qui voudrait abandonner à l’industrie privée la fabrication des armes de guerre devrait pour assurer le suivi de son armement, donner des commandes pendant la paix uniquement pour faire vivre cette industrie, entretenir un personnel d’employés pour contrôler cette fabrication et imposer à ces fabricants la défense absolue d’exportation des armes toutes les fois qu’il le jugerait à propos. C’est-à-dire que l’on serait fatalement amené à placer au moins quelques usines particulières dans la situation où se trouvent actuellement les Manufactures Impériales d’armes en France ; en un mot on referait au profit d’autres industriels précisément ce que la force des choses a conduit à faire pour ceux qui sont actuellement les Entrepreneurs des Manufactures de l’Etat.
 
Les considérations qui précèdent ne laissent donc aucun doute sur la nécessité de maintenir fermement le principe de la fabrication des armes de guerre sous la direction et le contrôle immédiat de l’Etat ; cette fabrication fait partie intégrante de la défense nationale dont tous les services doivent être entretenus, même à grands frais, pendant la paix, pour être prêts à fonctionner quand vient la guerre. L’Etat doit donc posséder un nombre suffisant d’établissements pour la fabrication de ses armes de guerre et le rôle de l’industrie privée doit se borner à venir en aide à ces établissements en leur fournissant des pièces d’armes à un degré de fabrication plus ou moins avancé et qui ne seront mises en œuvre qu’après avoir été examinées et contrôlées avec soin.
 
D’ailleurs, dans cette importante question, l’expérience est d’accord avec le raisonnement. Parmi toutes les puissances militaires, aucune n’a voulu confier la fabrication de ses armes de guerre à l’Industrie privée. La Belgique qui possède le centre le plus important de l’industrie armurière n’a pas cru pouvoir le faire et bien que Liège puisse fabriquer annuellement 300 000 armes, le gouvernement belge y entretient une Manufacture d’armes. L’Amérique elle-même, ce pays essentiellement industriel a suivi les mêmes errements. Lors de la guerre de la Sécession, tout en faisant appel à l’Industrie privée, le gouvernement de Washington a donné un grand développement à la Manufacture d’armes de Springfield, et il s’en est bien trouvé, car aucun des nombreux industriels qui entreprirent la fabrication des armes, ne tint ses engagements et la manufacture de Springfield rendit à elle seule plus de services dans ces circonstances que tous les fabricants réunis. Jusqu’à la guerre de Crimée, l’Angleterre avait confié la fabrication de ses armes de guerre à l’industrie privée, elle expia cruellement cette imprudence, car les armes lui firent défaut et elle fut dans la nécessité d’en faire fabriquer à l’étranger, notamment à Liège et en France à la Manufacture Impériale de Saint-Etienne, et il est à remarquer qu’aucune de ces commandes, sauf celle de ce dernier établissement, ne fut exécutée dans les limites fixées par les marchés. Instruit par cette dure leçon, le gouvernement anglais ne recula devant aucun sacrifice pour créer la Manufacture royale d’Enfield malgré les résistances des partisans de l’Industrie, résistances d’autant plus énergiques qu’elles s’appuyaient sur un long usage et sur les idées généralement admises en Angleterre en pareille matière.
Ces exemples, pris seulement dans les pays essentiellement industriels, montrent bien qu’en ce qui concerne la fabrication d’armes complètes, l’industrie privée est incapable de remplacer les Manufactures de l’Etat. Son rôle doit donc se borner à leur venir temporairement en aide par des fournitures de pièces d’armes fabriquées d’après les indications et sous la surveillance immédiate des Officiers et des employés de ces établissements.
 
 
Résumé général des travaux accomplis dans les Manufactures
 
Les développements accomplis dans les manufactures pour l’exécution des grandes commandes d’armes Modèle 1866, peuvent se résumer en quelques lignes. La superficie des Usines et ateliers a été portée de 20 000 m2 à 60 000m2. La force motrice a été portée de 367 chevaux à 1 500 chevaux. Le nombre des machines-outils de 200 à 2 000. Le personnel des contrôleurs de 100 à 180, celui des ouvriers …… de 2800 à 15 000. La production journalière……De 100 à 1 400 armes.
Des résultats aussi considérables obtenus en aussi peu de temps répondent victorieusement aux appréhensions qu’on  avait pu concevoir à l’égard de la puissance productrice de l’Artillerie qui n’avait pas encore été mise à une épreuve de cette nature.
De l’aveu des hommes les plus compétents, le simple sentiment du devoir chez les officiers et employés a produit ce qu l’Industrie eût été incapable de réaliser avec d’immenses capitaux et le seul mobile, si puissant cependant, de l’appât du gain.
 
 
Transformation des armes Modèle 1857 et 1859
 
Dans le but d’augmenter aussi rapidement que possible la quantité d’armes se chargeant par la culasse, il avait été décidé que les carabines Modèle 1859 et les fusils Modèle 1857 seraient transformés d’après le système adopté en 1867. Les Manufactures Impériales devant consacrer toutes leurs ressources à la fabrication du fusil neuf, on eût recours à l’industrie pour la transformation. Les industriels qui entreprirent ce travail étant complètement étrangers à la fabrication des armes, durent faire des études préliminaires, et la plupart eurent à installer de toutes pièces de nouveaux ateliers. Il en résulta du retard dans les livraisons, de sorte que tous les Régiments d’Infanterie avaient reçu le fusil Modèle 1866 au moment où la production des ateliers de transformation devint régulière.
 
La surveillance du travail dans les ateliers des fabricants et la réception des armes furent confiées à des Officiers d’Artillerie et à des Contrôleurs. Mais comme on ne pouvait, malgré ce contrôle, espérer d’obtenir de ces fabricants la perfection de travail qu’on exige des manufactures, toutes les armes furent essayées une à une pour s’assurer du moins que le départ était bon. Ces armes offrent donc les garanties que l’on peut désirer en pareille circonstance, et les troupes auxquelles on les délivrera avec de bonnes cartouches, n’auront pas à se plaindre de leur armement, surtout si le genre de service auquel elles seront appelées n’exige pas que le tir ait lieu à des distances plus grandes que celles qui convenaient au tir du fusil 1857.
 
 
Paris, le 31 décembre 1868
Le Colonel d’artillerie René,
Inspecteur des Manufactures Impériales d’armes

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Inspections des manufactures françaises 1851 1865 Empty Re: Inspections des manufactures françaises 1851 1865

Message  Tico Mar 15 Déc 2020 - 19:46

Conservateur a écrit:
NOTICE
Sur les travaux accomplis dans les Manufactures Impériales d’armes pour l’exécution des grandes commandes nécessitées
par le changement de l’armement
 
 
Conséquences d’un changement dans l’armement
 
Depuis trente ans environ, trois grands changements ont eu lieu dans l’armement de l’infanterie : les armes à silex ont été transformées en armes à percussion ; celles-ci ont été rayées ; le chargement par la culasse a remplacé le chargement par la bouche. Les deux premiers changements ont pu être apportés aux armes alors existantes et les opérations qu’ils nécessitaient étaient assez simples pour pouvoir être exécutées rapidement et sans que les Manufactures de l’Etat eussent à modifier leur outillage et leurs procédés de fabrication. Le chargement par la culasse, joint à la réduction du calibre, entraînait au contraire le renouvellement complet de l’armement.
 
Or, lorsqu’une grande nation comme la France, change l’armement de son Infanterie, il est indispensable que l’opération se fasse pour ainsi dire en même temps dans tous les régiments, car si, pendant qu’elle a lieu, une guerre venait à éclater inopinément, il en résulterait un danger sérieux surtout si, comme dans le dernier changement, les armes anciennes et nouvelles exigent des cartouches différentes.
 
L’adoption du fusil Modèle 1866 imposait donc l’obligation de fabriquer dans le plus court délai possible, le nombre d’armes neuves correspondant à l’effectif de l’Infanterie, et les Manufactures allaient se trouver aux prises avec certaines difficultés qu’elles n’avaient pas encore rencontrées. Quelques mots suffiront pour peindre leur situation.
 
 
Causes des difficultés que les Manufactures ont eues à vaincre
 
Lorsqu’un industriel veut fabriquer rapidement une grande quantité d’objets de même nature (d’armes par exemple), il commence par établir un type qui satisfasse pleinement au service que l’on attend de l’objet, puis il le décompose dans toutes ses pièces et soumet chacune d’elle à un examen attentif afin de lui imposer les formes qui se prêtent le mieux au travail mécanique. Le type ainsi reconstitué devient le type invariable d’après lequel la fabrication entière sera montée. Telle pièce exigera l’emploi des raboteuses, telle autre demandera des fraiseuses, etc, mais il n’y aura plus ni doute ni hésitation ; le fabricant connaît la série des machines qu’il emploiera ; il en connaît le rendement et par suite le nombre nécessaire à l’exécution de sa commande dans le délai fixé. Par des calculs qui n’ont rien d’incertain, il déduit la force motrice, le genre et la dimension des transmissions de mouvement et enfin la superficie de ses usines et ateliers. Tout marche en même temps, construction ou aménagement de bâtiments, construction des moteurs, des transmissions et des machines outils. A partir de l’établissement de ce type invariable, il n’y a pas un moment de perdu, pas un mouvement faux, pas de retours en arrière, puis tous les éléments sont réunis, l’atelier est en activité et dès le début la production se présente sur une grande échelle. C’est ce que l’on nomme la fabrication méthodique, la seule qu’un industriel sérieux ose entreprendre et qui est exclusivement fondée sur la permanence absolue du type. Qui ne voit en effet que la plus petite variation dans la forme d’une pièce, peut, outre le changement des appareils et guides de la machine, entraîner le changement de la machine elle-même, rendre inutile un outillage construit à grande peine et en nécessiter un autre dont l’achèvement exige des mois ?
 
Or les conditions posées à l’artillerie ne permettaient pas de songer à la fabrication méthodique. Le type était soumis aux variations que les résultats d’expériences non interrompues rendaient nécessaires ; les formes d’un certain nombre de pièces se prêtaient difficilement au travail des machines parce que le temps n’avait pas permis de faire l’étude spéciale à ce point de vue. On voulait une production immédiate par tous les moyens. La fabrication des armes dans les Manufactures de l’Etat était à cette époque, et à juste raison, aussi restreinte que possible, il fallait la développer dans des proportions insolites, construire de nouveaux bâtiments pour des usines, des ateliers et des magasins, faire établir les moteurs, fabriquer les machines-outils, sans indication précise de leur emploi. La fabrication mécanique n’existait dans les Manufactures que pour une petite partie de l'arme à feu ; le personnel employé aux machines était minime, il fallait recruter de nombreux ouvriers et leur faire faire un apprentissage qui pour certaines opérations est fort long. L’adoption du sabre-baïonnette pour tous les fusils entraînait l’établissement de la fabrication de cette arme dans toutes les manufactures et par suite la création d’un matériel et d’un personnel que jusque là Châtellerault possédait seul. En un mot, d’une fabrication qui était à peine de 36 000 armes, il fallait passer immédiatement à une production de plus de 300 000 armes, d’un modèle entièrement nouveau.
 
 
Historique de l’introduction des machines dans les manufactures
 
Il y a peu d’années encore presque toutes les pièces de l’arme étaient fabriquées à la main. Les meules, les bancs de forerie ou d’alésage constituaient la majorité des machines, mais si le mouvement de la machine était mécanique, la pièce n’en restait pas moins dans la main de l’homme dont l’habileté plus ou moins grande faisait la valeur du produit. Quelques tours à canon, quelques machines à fendre les baïonnettes, etc, se rencontraient dans une ou deux des manufactures. L’attention était cependant éveillée par l’exemple donné par l’Amérique et imité par l’Angleterre, on suivait avec intérêt cette transformation radicale dans l’industrie des armes, mais on hésitait à se lancer dans cette voie nouvelle avant d’être suffisamment édifié sur les résultats.
 
Le changement des procédés de fabrication dans les Manufactures de l’Etat était beaucoup plus grave pour la France que pour les Etats-Unis ou l’Angleterre. Les Etats-Unis étaient depuis fort longtemps habitués à faire des travaux mécaniques. L’Angleterre suffisamment édifiée par la guerre de Crimée sur les dangers que court un pays quand il abandonne la fabrication de ses moyens de défense à l’Industrie privée, avait renoncé à ses errements et s’était hâtée de construire à Enfield une Manufacture qui la dispensait d’avoir recours à l’industrie. Elle avait eu table rase, il n’y avait ni établissement préexistants, ni personnel entretenu, elle pouvait donc élever de toutes pièces un établissement pour la fabrication mécanique d’une arme dont le modèle était fixé. En un mot, elle put établir la fabrication méthodique.
 
En France, nous possédions de vastes établissements et un personnel d’ouvriers considérable que l’humanité défendait de renvoyer avant de leur avoir procuré des moyens d’existence. Le changement ne pouvait donc être radical comme en Angleterre, il devait se faire non par une création mais par une transformation du matériel aussi bien que du personnel. Ce travail ne pouvait avancer que peu à peu et ce n’est qu’après avoir vaincu les difficultés, une à une, dans une des Manufactures de l’Etat que l’on pouvait espérer de les lever dans les autres.
 
Une circonstance particulière facilita les études que nécessitait la transformation du matériel. En 1855, un Mécanicien français, M. Kreutzberger, originaire d’Alsace, revenait en France après avoir travaillé pendant plusieurs années aux Etats-Unis où il avait dirigé des constructions de machines pour la fabrication des armes. Le Ministre autorisa l’introduction dans les Manufactures de quelques machines construites par ce Mécanicien, et après quelques années d’essais dont l’issue fut favorable, il décida, sur la proposition du Comité, que M. Kreutzberger serait attaché à l’artillerie en qualité d’Ingénieur mécanicien des Manufactures impériales d’armes.
 
Par sa proximité de Paris, par la concentration de ses usines, Châtellerault se prêtait mieux que tout autre établissement aux essais sur les machines, ce fut donc cette manufacture qui fut choisie pour être transformée la première. Lorsque l’étude d’une machine était terminée, on la faisait construire et elle était dirigée sur Châtellerault où elle était montée et mise en train. C’est ainsi qu’on arriva de proche en proche à fabriquer l’outillage mécanique du canon et à l’installer à Châtellerault d’abord, puis à Tulle et à Saint-Etienne. La manufacture de Mutzig étant abandonnée en principe, on n’eut pas à s’occuper d’y introduire de changement dans les procédés de fabrication.
 
Quelque restreint que fût cet outillage, c’était déjà un grand pas de fait. La routine était brisée et non sans grandes difficultés ; la machine à percer permettait d’adopter l’acier fondu pour la fabrication des canons ; les machines à aléser mécaniquement, les machines à raboter et les fraiseuses remplaçaient les anciens bancs de foreries et les meules ; mais en cherchant à obtenir ces résultats incomplets, on s’était heurté contre un obstacle bien grave, c’était le changement prévu dans le système des armes, changement qui paraissait imminent, malgré l’incertitude ou l’on était encore relativement au modèle qui serait adopté. On courait le risque de construire des machines qui pourraient ne pas se prêter parfaitement à la fabrication d’un modèle alors inconnu et d’établir des appareils qui devraient être forcément mis à la ferraille. Si l’on écoutait les conseils de la sagesse, il fallait attendre et cependant on pouvait facilement prévoir que si d’un jour à l’autre il se produisait une arme d’un modèle acceptable et accepté, il serait nécessaire d’en fabriquer immédiatement un nombre considérable ; tout ce que l’on aurait fait avant cette époque pour l’introduction du travail mécanique dans nos manufactures serait donc une avance peu importante en matériel, mais immense au point de vue de l’initiation qui aurait été imposée au personnel ; on posséderait un noyau qui permettrait de développer plus ou moins rapidement la fabrication mécanique. Ces considérations l’emportèrent et l’on décida à installer les machines pour les diverses pièces du fusil à l’Infanterie, Modèle 1857, au risque d’avoir fait un travail en partie inutile.
 
 
ProdProduction des Manufactures avant l’adoption du fusil Modèle 1866
 
Depuis plusieurs années, on avait autant que possible, diminué la production des Manufactures en armes neuves. Les progrès des études entreprises sur les armes de petit calibre et sur le chargement par la culasse ne pouvaient laisser de doutes sur la proximité du succès et il était évident que dans un temps plus ou moins rapproché toutes les armes se chargeant par la bouche seraient abandonnées. En présence d’un approvisionnement de près de 2 millions d’armes en bon état et par conséquent à l’abri de toute crainte de ce côté, il eût été peu sage de continuer la fabrication du fusil Modèle 1857 sur une grande échelle, aussi les commandes furent-elles réduites au strict minimum et le Ministre donna aux entrepreneurs des Manufactures toute latitude pour accepter et exécuter les commandes de gouvernements alliés de la France. Grâce à cette combinaison, on put réduire la commande pour 1866 à 36 000 armes.
 
 
Situation du personnel et du matériel des Manufactures au moment de l’adoption du nouveau modèle.
 
Au moment où le nouveau modèle d’armes fut adopté, les quatre manufactures présentaient une superficie d’usines et d’ateliers de 19.820 m2. Elles disposaient d’une force motrice de 367 chevaux.
217 machines d’une valeur de 520 000f représentaient la portion mécanique de la fabrication. Une partie seulement était des machines-outils de nouvelle construction. Le personnel se composait de 14 officiers chargés de la fabrication, 100 contrôleurs, 2817 ouvriers. Il y avait en outre 56 capitaines en second attachés aux manufactures pour y faire leur instruction.
 
La production, d’après la commande, était de 36000 armes pour l’armée. La fabrication mécanique n’était encore appliquée qu’au canon. Le personnel était bon, mais les ouvriers étaient attachés à la routine, hostiles à tout changement et souvent malveillants lorsqu’on introduisait une nouvelle machine. Néanmoins, grâce au zèle et au dévouement de quelques contrôleurs intelligents, les directeurs venaient à bout de surmonter ces difficultés que la faiblesse de la commande rendait moins inquiétantes.
 
 
Construction des machines outils nécessaires à l’exécution de la commande de fusils 1866 – Création de l’atelier de Puteaux
 
D’après les commandes faites par le Ministre aux quatre Manufactures, on fixa à 1000 armes la production journalière minimum, ce qui supposait une fabrication d’environ 1200 jeux de pièces, ainsi répartie : Saint-Etienne 600, Châtellerault 200, Tulle 200, Mutzig 200. L’outillage devait être calculé en conséquence et fourni aux établissements dans le plus court délai. La fabrication des fusils devait néanmoins commencer immédiatement par les procédés manuels pour les pièces qui n’exigeaient pas impérieusement l’emploi des procédés mécaniques et prendre une extension progressive au fur et à mesure de l’arrivée et de la mise en marche des machines.
 
La détermination du nombre de machines nécessaires dépendant du rendement de chaque machine ne présentait pas d’autres difficultés, pour celles qui étaient déjà introduites dans les manufactures, que l’appréciation de la différence de rendement provenant de la différence du modèle d’armes, mais la plus grande partie des pièces n’avaient jamais été fabriquées mécaniquement et n’ayant pas le temps de faire une étude méthodique, on dût procéder par analogies. On arriva ainsi à fixer un premier chiffre de 1500 machines comme minimum indispensable. Au point de vue de la régularité de la fabrication, de la facilité d’entretien et de réparations, il était d’une grande importance de ne pas multiplier les modèles de machines. Il n’existait chez aucun constructeur en France de modèles spéciaux pour la fabrication des armes. On aurait pu en trouver en Angleterre ou en Amérique, mais à la condition de fournir un type parfaitement arrêté de toutes les pièces de l’arme, ce qui était impossible à cause des améliorations que le modèle recevait encore de jour en jour et lors même que cette condition eût été acceptable, les constructeurs demandaient un délai considérable pour la livraison. Il fut donc décidé que l’on ferait construire ce matériel en France en employant toutes les ressources disponibles.
 
Dans ce but, les machines furent divisées en trois groupes :
1er groupe comprenant les machines qu’en raison de leur spécialité exigent une fabrication soignée, telles que les machines à percer les canons, les machines à façonner, etc
2ème groupe renfermant les machines d’un usage général dans la fabrication des armes, dont les types principaux sont les aléseuses, les fraiseuses, etc
3ème groupe se composant des machines que l’on trouve dans l’industrie et qui peuvent être employées soit à la fabrication des armes, soit à la réparation des autres machines, comme les tours, les étaux limeurs, ?etc
 
En France, les constructeurs mécaniciens n’avaient pas encore eu l’occasion de confectionner des machines outils pour la fabrication des armes, il n’était donc pas prudent de leur abandonner la fourniture de celles qui sont comprises dans le premier groupe ; en outre, ils demandaient tous que l’Etat mît à leur disposition les modèles des machines qui leur seraient commandées. Il fut donc résolu que l’artillerie construirait les machines du premier groupe et les modèles de celles qui composent le second, que ces modèles seraient remis à divers constructeurs qui offraient de fabriquer des lots de machines et qu’enfin les machines du 3ème groupe seraient achetées dans l’industrie en faisant un choix judicieux parmi celles qu’elle construit d’une manière courante.
 
Pour les machines-outils spéciales et les modèles des machines d’un usage général, Monsieur le Maréchal Randon autorisa l’établissement d’un atelier de construction et après bien des recherches on choisit pour l’installer une propriété industrielle située sur le bord de la Seine, à Puteaux. La prise de possession eut lieu le 15 juillet 1866 et les travaux d’appropriation furent poussés avec une telle activité que le premier septembre l’atelier était en marche. Cet atelier fut organisé ainsi qu’il suit :
Le Colonel Inspecteur des Manufactures d’armes (Colonel René), Directeur
L’Ingénieur mécanicien des Manufactures d’armes (Kreutzberger) chargé de la Direction des travaux.
Un Officier d’Artillerie (Roger) chargé de la comptabilité et de l’administration, et de la direction des travaux en cas d’absence de l’Ingénieur.
 
Un garde, un contrôleur d’armes, un ouvrier d’état. Le personnel d’ouvriers varie de 120 à 140. L’outillage comprend environ 200 machines de toutes sortes.
Les travaux de l’atelier de Puteaux ont porté principalement sur les forgeuses, machines à percer les canons, à polir, à façonner, à mortaiser, etc, etc, qui exigeaient une construction plus soignée que les autres.
La construction des machines-outils du deuxième groupe fut confiée à l’Industrie privée et fut exécutée par une dizaine de constructeurs choisis parmi les plus recommandables dans cette spécialité. Chacun d’eux prit en général une commande d’un certain nombre de machines de même modèle et reçut de l’atelier de Puteaux une machine type entièrement terminée, les modèles en bois pour le moulage des pièces en fonte et tous les dessins et renseignements nécessaires à l’exécution du travail ; 749 machines furent construites de cette manière.
Enfin les machines du troisième groupe, c’est-à-dire celles qui étaient déjà en usage dans l’industrie, furent achetées chez les divers constructeurs qui s’étaient acquis dans chaque spécialité une réputation de supériorité bien établie.
 
Toutes les machines comprises dans les 3 groupes précédents étaient destinées à la fabrication de l’arme à feu, sauf quelques-unes qui devaient être employées à la réparation des autres machines, mais l’introduction du sabre baïonnette dans toute l’armée nécessita aussi la création d’un outillage pour la confection de cette arme dans toutes les Manufactures. Deux branches de cette fabrication menaçaient d’entraver l’essor qu’elle devait prendre : l’aiguisage des lames et la confection des fourreaux. On assura l’aiguisage par la construction de deux grandes usines à Châtellerault et à Saint-Etienne ; quant au fourreau, on fit pour sa fabrication une ingénieuse application des procédés mécaniques de l’étampage, employés dans l’industrie privée. Des jeux de machines pour cette fabrication ont été installés dans les Manufactures de Saint-Etienne, Châtellerault et Tulle et peuvent suffire à une production journalière de plus de 1200 fourreaux.
Indépendamment de toutes les machines qui précèdent, les directeurs en ont fait faire un certain nombre dans les ateliers des Manufactures ou chez des constructeurs résident dans le voisinage des établissements. Ce sont particulièrement des machines qui, en raison de leur simplicité, pouvaient être faites sur place. Le nombre s’élève à 350 environ.
Au fur et à mesure de leur achèvement, ces machines étaient réparties entre les manufactures de manières à y développer la fabrication au prorata de leurs commandes et en équilibrant dans chacune d’elles la production des différentes pièces de l’arme. Les Directeurs recevaient en même temps des instructions sur l’usage de ces machines, sur les précautions à prendre pour les installer et les mettre en marche. Néanmoins, on leur laissa beaucoup de latitude dans l’emploi des procédés, l’usage pouvant leur suggérer des modifications utiles. Toutes les fois qu’une manufacture a mis en œuvre un procédé qu’elle trouve avantageux, on le fait connaître aux autres Manufactures en les invitant à le suivre. C’est ainsi qu’en encourageant l’initiative individuelle, on a produit entre les Manufactures une émulation soutenue, à la faveur de laquelle les meilleurs procédés et par suite l’uniformité s’introduisent peu à peu dans tous ces établissements.
 
 
Travaux d’agrandissement exécutés dans les manufactures
 
Aussitôt qu’on eut pu se rendre compte approximativement du nombre des machines-outils que recevraient les Manufactures, les Directeurs furent invités à adresser des projets de construction ou d’amélioration des usines, ateliers et magasins. On ne peut entrer ici dans le détail de tous les travaux qui furent exécutés dans les Manufactures. En voici les principaux.
 
Châtellerault.
A Châtellerault, on construisit une nouvelle usine de mille mètres de superficie, pouvant recevoir 71 machines-outils et mue soit par une turbine de 50 chevaux, soit par une machine à vapeur de même force suivant l’état des eaux de la Vienne. On acheva en même temps une aiguiserie de 30 meules. L’éclairage au gaz fut introduit.
 
Tulle.
A Tulle, on transforma des bâtiments en ateliers mécaniques et pour remédier à l’insuffisance du cours d’eau, on disposa des locomobiles sur les points où la force motrice manquait.
 
Mutzig.
Le traité qui lie l’Etat aux entrepreneurs actuels de Mutzig expire le 1er septembre 1869, et à cette époque, cette manufacture qui appartient en entier à M.Coulaux, Sütterlin et Cie, doit être abandonnée, conformément à une décision de principe prise lorsque la construction de la nouvelle manufacture de Saint-Etienne a été ordonnée. Il en résultait une position toute particulière pour les entrepreneurs de Mutzig, car l’Etat ne voulait y faire aucune dépense et eux, de leur côté, ne trouvaient pas dans les commandes ordinaires un bénéfice assez considérable pour leur permettre d’améliorer leurs usines qui tombaient presque en ruines. Néanmoins, comme on ne pouvait, dans les circonstances actuelles, négliger ce moyen certain d’accroître la production rapide des armes nouvelles, le Ministre conclut avec la société Coulaux, Sütterlin et Cie un nouveau traité par lequel cette société s’engagea, moyennant une commande de 180 000 armes livrables avant la fin de 1869, à faire à ses frais tous les travaux et à installer tout l’outillage nécessaire à ce développement de la fabrication.
Il y avait beaucoup à faire pour mettre la manufacture en état de suffire à une pareille fabrication. Les usines étaient en mauvais état, les moteurs délabrés, les transmissions détestables, les locaux et la force motrice insuffisantes. Développer la fabrication à Mutzig seul était difficile. L’entreprise se décida à acheter en totalité les établissements de la Bruschwerck et de Framont qui comprenaient, outre les usines, de vastes bâtiments pouvant servir de magasins, de salle de contrôles et de logement.
Les plus grands travaux auxquels donna lieu la nouvelle installation furent les travaux hydrauliques nécessités par l’établissement de nouveaux moteurs.
On citera seulement ceux de Framont à cause de la disposition particulière des turbines. Le cours d’eau a une dépense faible, mais une grande hauteur de chute. On établit en amont d’une première usine un réservoir de 5 000 m3 qui alimente une turbine de 22 chevaux, avec une chute de 5.50m. De là, les eaux sont amenées dans un autre réservoir de 3 000 m3 qui est contigu à une deuxième usine. Mais comme la hauteur de chute n’était pas assez grande pour donner la force motrice nécessaire à cette usine, on a reporté le moteur à 160 mètres en aval. On a ainsi obtenu une chute de 13.50m qui fait marcher une turbine de 54 chevaux, puis le mouvement revient de cette turbine à l’usine par un câble télédynamique.
Les travaux des réservoirs, du siphon et surtout du canal de fuite creusé dans le roc ont présenté de grandes difficultés que la saison pendant laquelle ils étaient exécutés a encore augmenté.
 
 
Saint-Etienne
Les obstacles à surmonter à Saint-etienne étaient plus grands que partout ailleurs, parce qu’on s’y trouvait dans un moment de transition. L’ancienne Manufacture comprenait deux centres : l’un, aux Rives, était destiné à l’usinage, l’autre au milieu de la ville, place Chavanelle était le siège de l’administration, c’était là que se faisaient les recettes définitives et les expéditions. Locaux, usines, moteurs, tout était depuis longtemps dans un état déplorable auquel on ne remédiait pas, la construction d’une nouvelle manufacture étant adoptée en principe. Les études, projets et contre-projets se succédèrent longtemps et toujours sans résultat parce que les crédits manquaient. Ce fut une circonstance heureuse car on ne pensait à cette époque qu’à l’agrandissement des Rives et l’on ne serait jamais arrivé ainsi à posséder un établissement convenable, la pente du terrain d’un côté du Furan et la disposition générale de la localité et du sol sur l’autre rive se fussent opposés à un développement suffisant. Lorsque les ressources spéciales créées par la loi du 28 mai 1864, permirent de construire le nouvel établissement, on avait donc encore le champ libre et l’on pouvait se fixer arbitrairement le chiffre de la production annuelle qui serait imposée à cette manufacture. Sur l’avis du comité, le Ministre adopta le chiffre de 120 000 armes. C’est sur ce nombre que toutes les études furent faites et ceci est important à noter, parce que au moment où la manufacture n’était pas terminée, ce n’est pas 120 000 armes qu’on demanda à Saint-Etienne de faire en un an, mais 150 000 avec sabres-baïonnettes. Or, tandis que le chiffre de 120 000 ne se rapportait qu’à une fabrication installée dans un établissement complètement terminé et possédant des ouvriers formés, celui de 150 000 (porté bientôt à 200 000), était demandée la première année dans un établissement inachevé, avec des ouvriers dont l’instruction était à faire, de telle sorte que maçons, terrassiers, charpentiers, etc, et ouvriers armuriers s’agitaient sur le même terrain. L’on voyait donc tout à la fois les bâtiments s’élever, les moteurs et les transmissions se poser pendant que dans les locaux à peine achevés les machines fonctionnaient et produisaient déjà un nombre d’armes considérable.
La manufacture de Saint-Etienne étant actuellement un des établissements les plus considérable qui existent dans le monde pour la fabrication des armes, on entrera ici dans quelques détails sur sa création.
Au Nord de la ville de Saint-Etienne, à la sortie de la route de Roanne, entre cette route et le chemin de fer de Saint-Etienne à Paris, s’étendait un terrain de 12 hectares environ, nommé le Champs de Mars. Ce fut le point choisi par le Département de la Guerre pour y élever le nouvel établissement. La ville de Saint-Etienne qui vendait ce terrain à l’Etat se chargea des travaux de canalisation et de redressement du Furens et concéda gratuitement le volume d’eau nécessaire pour le service de la Manufacture et l’alimentation des machines à vapeur.
Immédiatement après la promulgation de la loi du 28 mai 1864, on s’occupa des projets de la grande usine centrale et du réservoir d’eau. ils furent approuvés le 5 juillet et les travaux commencèrent aussitôt. Les projets étaient établis en vue d’une fabrication de 120 000 armes, sans sabre-baïonettes, c’est-à-dire d’un modèle analogue au modèle de fusil 1857.
La nouvelle manufacture devait se composer des bâtiments indiqués ci-dessous :
Au centre, un massif composé de quatre usines séparés par des cours intérieures mais jointives à leurs extrémités, mises en mouvement par quatre machines à vapeur placées au centre, accouplées deux à deux et d’une force nominale totale de 320 chevaux. Ce massif est désigné sous le nom de grande usine.
Au Nord de la grande usine, un bâtiment contenant une aiguiserie de 32 meules, un atelier de 36 polissoires et l’atelier de la trempe. Le mouvement est donné par une machine à vapeur de 100 chevaux……..
A l’Est, le bâtiment des forges muni d’une machine à vapeur de 80 chevaux.
Au Sud, un bâtiment contenant l’atelier de précision, l’atelier de réparations de machines et une fonderie, le mouvement étant donné par une machine de 40 chevaux.
A l’Ouest, du côté de la rue de Roanne, c’est-à-dire du côté de l’entrée, un vaste bâtiment à deux étages pour l’achevage et deux bâtiments d’administration, l’un pour la Direction, l’autre pour l’entreprise ; enfin les logements du Directeur et des sous-directeurs.
Dans la partie du terrain la plus au Nord, une grande cour entourée de vastes magasins pour les matières premières, et contenant le bâtiment du lessivage des bois ; à peu de distance, la salle d’épreuves et le magasin à poudre.
Enfin, logeant le chemin de fer, un vaste réservoir pouvant contenir 12 450 m3 d’eau, et destiné à recevoir l’eau de fontaine fournie par la ville, ainsi que les eaux de condensation revenant des machines à vapeur.
Comme on désirait abandonner le plus tôt possible l’ancienne manufacture, on avait commencé naturellement la construction par les usines et le réservoir d’eau. On menait les travaux activement mais sans précipitation.
Au moment de l’adoption du fusil Modèle 1866, voici quel était l’état de la nouvelle manufacture : 1/8 de la grande usine disponible ; l’aiguiserie du côté Nord à peu près achevée ; les fondations des forges, de l’atelier de précision et des magasins, à divers états d’avancement. Les travaux exécutés par la ville pour le redressement et le recouvrement du Furens se terminaient et l’on travaillait au vaste réseau d’égouts et de conduites qui sillonnent le terrain sous la manufacture.
Saint-Etienne se trouvait donc dans une situation fort critique et par le fait très inférieure comme ressources aux autres manufactures, car tandis que celles-ci avaient surtout à agrandir ou aménager des bâtiments existants, Saint-Etienne devait construire à neuf. L’ordre fut donné au Directeur de presser l’achèvement de tous les bâtiments à la fois et grâce au zèle infatigable du Capitaine chargé des constructions, on vit en quelques mois s’élever ou se terminer, les magasins, l’aiguiserie, les usines centrales qui recevaient au fur et à mesure leurs moteurs et leurs transmissions et prenaient part successivement à la production. La salle d’épreuves et le magasin à poudre étaient livrés au service avant la fin de 1866, et à la même époque les bureaux de la direction et de l’entreprise étaient établis à l’aide de cloisons provisoires dans les bâtiments de façade de la grande usine. Pendant les années 1867 et 1868, les logements des Directeurs et sous directeurs et les bâtiments d’administration furent construits et l’établissement sera complètement terminé dans le courant de 1869.
Malgré l’étendue des usines et bâtiments, la fabrication y est très à l’étroit pour deux raisons : d’abord, pour ce que la manufacture a été projetée pour une production de 120 000 armes au lieu de 200 000, mais surtout parce qu’on ne s’attendait pas à ce que le fusil nouveau serait garni d’un sabre baïonnette. On s’était préoccupé d’une aiguiserie pour les canons et les baïonnettes, ce qui est peu de chose en comparaison dune aiguiserie de lames de sabres.
Lors donc qu’à la fin de novembre 1866, l’Empereur adopta le sabre baïonnette à la place de la baïonnette et que l’ordre fût donné à chaque manufacture de fabriquer cette arme, Saint-Etienne se trouva dans la nécessité de créer une fabrication inconnue dans le pays.
Pour une commande minimum de 150 000 sabres-baïonnettes par an, il fallait non seulement trouver des ateliers pour 1 500 ouvriers, mais il fallait monter une aiguiserie de 100 meules au moins avec les polissoires correspondantes. Cette usine fut construite et mise ne marche en moins d’un an. Elle est mue par une machine à vapeur de 120 chevaux.
La superficie des usines à Saint-Etienne est d’environ 22 000 mètres carrés. 330 colonne en fonte supportent avec les murs environ 10 kilomètres de poutres en fer double T. l’usine centrale en compte à elle seule 6 659 mètres ; elle renferme 600 arbres de renvoi et plus de 2 500 poulies indépendantes des machines. La longueur de ses transmissions est de 2 217 mètres. La force motrice est de 660 chevaux, force nominale qui peut facilement être portée au besoin à 800 ; elle est répartie sur 8 machines à vapeur à détente et à condensation dont la marche ne laisse rien à désirer. Pour éclairer ces vastes ateliers, les cours et les abords, on a installé une grande conduite qui amène le gaz du gazomètre de la ville, placé vis-à-vis la manufacture et par un réseau de petites conduites le distribue dans tout l’établissement. Le développement des tuyaux est de 8 kilomètres ; il faut ajouter 6 kilomètres de tuyaux en caoutchouc. Le nombre des becs est de 2300, dont 2 000 dans les usines. Le service des eaux a nécessité 1 800 mètres de conduites en fonte et 900 mètres de conduites en ciment. Ces chiffres indiquent quelles vastes proportions possède la nouvelle manufacture, mais elle était encore insuffisante pour produire 200 000  armes dans l’année. non seulement il a fallu conserver et agrandir tous les ateliers de la Place Chavanelle et réinstaller la fabrication à l’usine des Rives, mais il a fallu encore avoir recours à de grands établissements appartenant à l’Entrepreneur.
En attendant que la nouvelle aiguiserie de la manufacture fût construite, il fallait assurer la fabrication du sabre-baïonnette ; à cet effet, et d’après une convention passée entre le Ministre et l’entrepreneur, celui-ci installa à ses frais, aux Rives, une aiguiserie de 48 meules, une fonderie et des ateliers de monteurs.
Les quatre établissements en dehors de la nouvelle manufacture (Chavanelle, les Rives, l’Heurton et les usines de la rue Désirée) apportaient aux ressources un appoint de 8900 m2 et l’espace manquait toujours pour les limeurs. Il fallut construire le long des magasins de la nouvelle manufacture un nouveau bâtiment pouvant contenir 400 ouvriers. Les autres ouvriers limeurs au nombre de plusieurs milliers travaillent dans la ville et dans les villages environnants.
En récapitulant ce qui vient d’être dit de la nouvelles manufacture et des quatre annexes on trouve une superficie (non compris les hangards) de 30 900 m2 pour les usines et ateliers et une force motrice nominale de 720 chevaux.
 
 
Résumé des travaux d’agrandissement dans les manufactures
 
En résumé, les travaux exécutés dans les quatre manufactures ont porté la superficie des usines et ateliers de 19 820 m2 à 60 022 m2, et la force des moteurs de 367 chevaux vapeur à 1463.
 
 
Mise en marche des machines outils
 
Au fur et à mesure de l’achèvement des machines on les expédiait sur les Manufactures, autant que possible dans la proportion de 1 à Châtellerault, 1 à Tulles, 3 à Saint-Etienne, (Mutzig étant outillé directement par les entrepreneurs) c’est-à-dire dans la proportion des chiffres de la production exigée. Les travaux de construction ou d’aménagement n’étant pas terminés au moment de l’arrivée des premières machines, il fallut pour ne pas les laisser, même quelques jours sans emploi, les installer où il y avait de la place. Il en résulta des déménagements fréquents, des pertes de temps forcées, et des difficultés de surveillance qui n’eussent pas existé si l’on eût pu procéder méthodiquement.
 
Cette difficulté d’installation que faisait naître la précipitation avec laquelle on était obligé d’opérer se présenta également dans l’installation de la fabrication. Dès que dans une manufacture il arrivait des machines, on cherchait à les utiliser de suite pour le travail d’une pièce. L’opération mécanique que l’on faisait n’était pas toujours la meilleure, parce que la machine convenable n’était pas encore terminée. Mais les appareils étant faits et mis en place et les ouvriers habitués à un genre de travail, on produisait et une fois en marche on n’osait plus, de peur de ralentir momentanément la fabrication, changer le procédé lorsqu’on avait reçu la machine convenable. La construction et l’ajustage des appareils, la mise en marche d’une machine, exigent de 15 jours à un mois ; on ne pouvait se permettre une semblable interruption et l’on remit à une époque plus calme la répartition méthodique du travail.
Ici se présente une objection qui ne peut manquer d’avoir été faite, c’est que les pièces du fusil Mle 1866 fabriquées en ce moment dans nos manufactures, ne sont pas échangeables ; tandis que les pièces des armes anglaises et américaines jouissent de cette propriété. Ceci tient à deux causes : la première, c’est que dans ces deux pays on a imposé aux pièces les formes exigées par les mécaniciens pour le travail des machines, tandis qu’en France les manufactures ont dû accepter et fabriquer tel quel le type de l’arme parce qu’on voulait une production immédiate et que la nouvelle étude qu’il aurait fallu faire au point de vue des machines aurait exigé un temps assez long ; la seconde, c’est que dans l’impossibilité où l’on s’est trouvé d’employer dès le début les machines les plus convenables pour chaque opération et dans l’obligation où l’on était de produire à tout prix, on a dû se contenter souvent de dégrossir à la machine. Ces deux causes réunies ont entraîné l’emploi d’une grande quantité de limeurs ; or, pour qu’une fabrication produise des pièces identiques, une des premières conditions est qu’elle soit entièrement mécanique. Ce résultat sera obtenu lorsqu’on n’aura plus à répondre aux exigences d’une production forcée.
 
Du reste, que les pièces de l’arme soient ou non échangeables, c’est une question de fabrication et de réparation bien plus que de service et peu importe au soldat que les pièces de son arme aient besoin d’un léger ajustage chez le chef armurier, lors des remplacements. Les pièces du fusil 1866 qui doivent être remplacées par le soldat lui-même (aiguille, tête mobile, rondelle de caoutchouc, etc) sont échangeables et cela suffit pour que l’on soit tranquille sur l’usage de l’arme.
L’échangeabilité des pièces est une facilité pour les réparations dont il ne faut pas se priver, surtout en campagne, parce qu’il est évident qu’un même nombre d’hommes peut dans le même temps remettre en état une plus grande quantité d’armes que lorsqu’il y a des ajustages à faire, mais on peut dire qu’actuellement il y a beaucoup de chances pour qu’une guerre soit finie avant que les armes soient réunies dans les ateliers de réparations.
 
 
Augmentation du personnel
Recrutement des ouvriers
 
Les difficultés d’installation étaient grandes, mais c’était relativement peu de chose en comparaison des difficultés que présenta le recrutement du personnel. Les officiers dirigeants, (je laisse de côté les Officiers envoyés en manufacture pour leur instruction) étaient au nombre de 3 à Châtellerault, à Tulles, à Mutzig et de 5 à Saint-Etienne ; on adjoignit un lieutenant d’ouvriers à chacun des Capitaines chargés des bâtiments à Châtellerault, Saint-Etienne et Mutzig, ce qui donna un total de 17 officiers. C’est l’existant actuel. Le nombre des contrôleurs dût être considérablement accru et comme on ne pouvait augmenter les cadres, on eut recours à des contrôleurs provisoires recrutés de diverses manières. On prit tous les contrôleurs en retraite qui demandèrent ou consentirent à rentrer ; on employa comme contrôleurs provisoires tous les candidats au grade de contrôleurs admis par le Comité, puis ceux qui avaient été proposés par les Directeurs et ajournés soit par le comité, soit par les Inspecteurs généraux ; enfin les ouvriers que les directeurs jugèrent aptes à remplir ces fonctions. Après avoir épuisé toutes ces catégories, on manquait encore de contrôleurs. Monsieur le Ministre de la Marine a bien voulu, sur la demande du Ministre de la Guerre, mettre à la dispertion du directeur de Saint-Etienne 15 employés de son département.
 
La manufacture de Châtellerault ayant fabriqué les 500 armes pour les essais du camp de Châlons, avait déjà une certaine expérience de la fabrication mécanique et pouvait au moins en signaler les points délicats. Elle devait en outre servir d’école pour la fabrication de l’arme blanche dont jusque-là elle avait eu le monopole et qui était à créer dans les trois autres manufactures. Des officiers, contrôleurs et ouvriers choisis par les directeurs de Saint-Etienne, Tulle et Mutzig, furent donc envoyés à Châtellerault pour être initiés à la nouvelle fabrication. Ce personnel d’instruction ainsi formé retourna à son poste au moment où l’arrivée des machines nécessita sa présence ; mais en ce qui concerne l’arme blanche en particulier, son instruction ne pouvait être assez complète pour assurer immédiatement le service et il fallut désorganiser Châtellerault pour organiser les autres établissements. On ne laissa dans la première de ces manufactures que 3 contrôleurs de l’arme blanche, on lui enleva les autres ainsi que les meilleurs ouvriers susceptibles de remplir les fonctions de contrôleurs dirigeants.
 
Châtellerault dut se réorganiser comme il put. Heureusement que son personnel d’ouvriers de l’arme blanche était assez fortement constitué pour que le ralentissement dans sa production ne fut pas sensible.
Le personnel des ouvriers comprend trois catégories : les ouvriers immatriculés, liés au service par un engagement qui leur assure une retraite, les ouvriers libres qui peuvent quitter les manufactures en prévenant trois mois à l’avance ; les ouvriers militaires détachés temporairement de leurs corps par ordres ministériels. Aux époques de grands développement de la fabrication, ce sont les deux dernières catégories que l’on augmente le plus possible parce qu’elles ne grèvent pas le budget de l’Etat pour l’avenir ; la troisième catégorie surtout, celle des ouvriers militaires, présente ce grand avantage d’être composée de soldats que l’on peut renvoyer à leurs corps lorsque les commandes diminuant, l’ouvrage vient à manquer. Si l’on tient compte des diverses professions que l’ancienne fabrication exigeait, on n’y trouve aucun mécanicien, aucun outilleur, très peu d’ajusteurs, tandis que dans la nouvelle ce sont les ouvriers les plus nécessaires. Les dresseurs de canon étaient peu nombreux et leur profession comptait parmi les plus difficiles et les plus longues à apprendre.
Aujourd’hui il faut autant de dresseurs qu’il y a de machines à percer et à aléser, c’est-à-dire plus de 250. Les ouvriers d’un certain âge furent très difficiles à mettre à la nouvelle fabrication et ce fut parmi les plus jeunes que l’on recruta les meilleurs conducteurs de machines. Dans chaque manufacture, on commença par donner de l’ouvrage à pleins bras aux ouvriers inscrits ; on recruta ensuite dans la localité et dans les environs des jeunes gens que l’on forma comme élèves, enfin on eut recours aux soldats qui avaient travaillé en manufacture avant d’être appelés sous les drapeaux, et en dernier lieu, le Ministre fit désigner par les Chefs de Corps des soldats dont la profession première permettait d’utiliser le travail dans les manufactures.
 
Par suite de ces diverses mesures, le nombre des contrôleurs a été porté de 100 à 180 et le nombre des ouvriers de 2817 à 10 505, ce dernier chiffre ne représente du reste qu’imparfaitement le nombre réel des ouvriers qui travaillaient à la Commande parce que tous ne sont pas inscrits. Parmi les ouvriers qui travaillent chez eux, il en est qui ont de petits ateliers où ils occupent plusieurs personnes, surtout de leur famille, de sorte qu’on peut évaluer à 15 0000 le chiffre réel. En calculant, comme on le fait habituellement trois têtes par famille, en moyenne, (sauf pour les ouvriers militaires), on voit qu’en ce moment 30 000 personnes au moins vivent du travail provenant de la commande.
 
Les ouvriers militaires ont nécessité des mesures spéciales au point de vue de la discipline et de la vie matérielle. Le nombre en était trop considérable pour qu’il y eut possibilité de les mettre en subsistance, et la surveillance disciplinaire eut exigé une quantité de sous-officiers qui auraient fait défaut à leur corps et qui se seraient perdus dans le genre de service qu’on aurait eu à leur demander. Il a paru beaucoup préférable de considérer ces militaires comme des ouvriers ordinaires ; la punition suspendue sur leur tête en cas de mauvaise conduite ou de négligence dans le travail est le renvoi à leurs corps. Dans le cas de négligence ou d’incapacité, le renvoi est pur et simple ; dans le cas de mauvaise conduite ou d’insubordination, il est accompagné de 30 jours de prison avec mise à l’ordre dans l’établissement. Les quatre Directeurs sont unanimes à reconnaître que par ce procédé ils sont complètement maîtres des ouvriers militaires.
 
Par leur position géographique, Saint-Etienne et Mutzig se trouvent, pour le recrutement des ouvriers, dans de meilleures conditions que Tulle et Châtellerault ; ce sont ces deux dernières manufactures qui ont surtout eu besoin des ouvriers militaires. Pour compenser la pénurie extrême d’ajusteurs qui existait à Tulle, on y envoya temporairement deux détachements des 1ère et 5ème compagnie d’ouvriers d’artillerie et un détachement de 33 hommes de la compagnie d’armuriers, commandé par le Capitaine en second.
 
A Saint-Etienne, la surveillance était très difficile dans la nouvelle manufacture, parce qu’il y avait de grands travaux de construction de bâtiments en cours d’exécution, et que par conséquent une foule d’ouvriers et d’individus étrangers à la fabrication des armes circulait dans l’intérieur de l’établissement. Il a fallu recourir à des moyens extrêmes et envoyer un détachement de 12 sous-officiers qui sont à tour de rôle de planton dans les usines et en expulsent tous ceux qui n’ont pas le droit ou l’autorisation d’y séjourner.
 

Suite...

Dense mais relativement très instructif
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Inspections des manufactures françaises 1851 1865 Empty Re: Inspections des manufactures françaises 1851 1865

Message  Tico Mar 15 Déc 2020 - 19:49

Conservateur a écrit:Suite et fin...


 
Mesures prises pour élever rapidement le chiffre de la production
 
 Après avoir indiqué comment on a procédé pour l’installation des machines et le recrutement du personnel, il reste à faire voir comment a été menée la fabrication afin d’arriver le plus rapidement possible à une production élevée.
 
Dans le début, comme les manufactures n’avaient aucun type, puisque le modèle n’était pas encore arrêté, on dut se contenter de percer le plus de canons possible avec les machines à percer qui existaient déjà. On les fit travailler jour et nuit, non seulement pour accroître le produit, mais encore pour former des perceurs de manière à ce qu’au fur et à mesure que l’Atelier de Puteaux expédiait de nouvelles machines il y eut un personnel tout prêt pour les conduire. En attendant que Mutzig qui n’avait pas de perceuses en reçu, on le fit approvisionner de canons percés à Saint-Etienne. Pour toutes les autres pièces, on fut obligé d’attendre que des modèles fussent définitivement arrêtés. Ils furent établis à Châtellerault qui ne put commencer à les expédier aux autres manufactures qu’à la fin d’octobre 1866. Ce ne fut donc qu’à cette époque que dans ces derniers établissements l’on put s’occuper de faire les étampes, calibres, mesures, etc, et commander les pièces de forge, en sorte qu’on peut dire que ce n’est qu’en janvier 1867 que la fabrication a réellement commencé. Les approvisionnements de matières ou de pièces de forge furent aussi une cause de retard. Il n’y avait à cette époque que les usines d’Assailly qui fussent en état de fournir de bons aciers fondus pour les canons et certaines autres pièces. Ces usines livraient déjà les aciers pour canon ou les canons de forge aux manufactures de Châtellerault, Tulle et Saint-Etienne, mais en petite quantité puisque les commandes étaient très faibles. Prises au dépourvu lors des fortes commandes qui leur furent faites, elles durent installer de nouveaux moyens de production.
 
La fabrication des pièces qui présentent une grande analogie avec celles des anciennes armes ne rencontra pas d’autres difficultés que celles qui proviennent de l’extension de la production, mais pour les parties de la nouvelle arme qui demandent un ajustage spécial et une précision à laquelle on n’était pas accoutumé, il fallut créer des ateliers d’ajusteurs que l’on recruta très difficilement. Pour la monture, il fallut former de très nombreux élèves. Plusieurs mois d’apprentissage étaient nécessaires pour leur instruction et ce n’est qu’au bout d’un temps assez long qu’on obtenait d’eux le maximum du travail, bien que la monture fût divisée par parties exécutées dans des ateliers séparés, ce qui rend les apprentissages plus faciles.
 
L’atelier de Puteaux possédait un groupe de machines américaines à faire les montures. Ces machines avaient été construites pour le fusil de Springfield, analogue à notre ancien modèle et par conséquent tout-à-fait différent  du fusil Modèle 1866. On s’occupait de leur transformation, mais ce travail dut être arrêté par suite des modifications successivement apportées aux formes de diverses pièces de l’arme. Il est actuellement terminé et ces machines vont être prochainement mises en service.
 
Néanmoins comme la fabrication mécanique du bois entraîne implicitement l’identité des autres pièces, identité qui par les motifs indiqués plus haut a dû être négligée au début de la production, on ne doit pas trop regretter que les machines à bois ne soient pas encore dans nos établissements.
 
Sauf à Châtellerault où la fabrication se trouvait déjà installée sur une petite échelle par suite de la confection des fusils d’essai, les armes ne commencèrent à sortir des manufactures que vers la fin d’avril 1867.
La production journalière fut de 330 en mai 1867, au mois d’août, elle était de 500. Elle atteignit 1000 en décembre. Elle fut portée à 1200 en mai 1868, à 1300 en août, à 1400 en octobre. Ce chiffre aurait été facilement dépassé si dès le mois de juillet, les directeurs n’eussent reçu l’ordre de ralentir la fabrication.
 
 
Fabrication de petites pièces
 
 Le fusil Modèle 1866, par cela même qu’il se charge par la culasse, est d’une fabrication plus difficile que celle de l’ancien fusil de guerre ; certaines pièces et particulièrement celles qui sont intimement liées au système d’obturation, sont d’une confection délicate qui exige un matériel et un personnel tout particulièrement organisé en vue d’un travail de précision. Bien que les Manufactures aient de tout temps possédé des ateliers de précision dans lesquels les produits ne laissent rien à désirer sous le rapport du fini du travail, on avait lieu de craindre qu’ils ne fussent pas en état de faire face à tous les besoins du service, car malgré le développement qu’ils avaient reçu, ils suffisaient à peine à la confection des calibres et instruments vérificateurs.
La fabrication de ces pièces délicates reposant surtout sur l’habileté professionnelle des ouvriers, ne pouvait s’improviser dans un jour et afin de donner aux manufactures le temps de développer cette branche importante de leur service, on résolut de faire momentanément appel au concours de l’industrie privée, et l’on s’adressa à des fabricants de pièces d’horlogerie très avantageusement connus dans cette spécialité. Les pièces mises en commande et désignées sous le nom de petites pièces sont au nombre de cinq, savoir : la tête mobile, la tige porte-aiguille, le manchon, l’aiguille et la roulette.
 
 
Fabrication des obturateurs
 
Les rondelles obturatrices en caoutchouc vulcanisé, en raison des préparations particulières qu’exige cette matière, sont prises exclusivement dans l’industrie et il ne paraît pas y avoir lieu d’installer cette fabrication dans les Manufactures Impériales.
 
 
 
Considération sur la fabrication des armes de guerre par l’Industrie privée
 
Le concours que l’Industrie privée peut apporter aux Manufactures de l’Etat pour l’exécution des commandes d’armes n’est pas à négliger, mais on ne doit y faire appel qu’avec une extrême réserve et jamais pour des armes complètes. L’expérience de ces deux dernières années a été concluante à cet égard et l’on peut maintenant repousser victorieusement une opinion qui semblait se répandre de plus en plus et qui ne tendait à rien moins qu’à abandonner à l’industrie la fabrication des armes de guerre. Il faut en effet remarquer qu’une industrie ne peut vivre qu’à la condition de trouver un écoulement régulier de ses produits ; toute intermittence lui est fatale et les industriels sont exposés à une ruine d’autant plus complète que la stagnation des affaires succède plus brusquement aux fortes commandes. C’est précisément le cas dans lequel se trouve habituellement l’Industrie armurière. Quand la guerre est imminente, les demandes d’armes affluent de tous côtés, la paix est-elle conclue, toute commande cesse et à une activité fébrile dans les manufactures d’armes succède un calme plat.
C’est ainsi qu’en Amérique, à la fin de la guerre de la Sécession, toutes les fabriques d’armes sont complètement tombées. Elles ont été appropriées à d’autres industries et en ce moment les fabricants demandent une année entière pour les réorganiser avant de pouvoir livrer une seule arme. Si donc l’Etat voulait trouver, dans l’industrie privée, des établissements constamment prêts à fabriquer des armes, il faudrait qu’il donnât aux fabricants des commandes pendant la paix uniquement pour entretenir leur industrie.
De plus, le grand nombre d’éléments dont se compose une arme exige que toutes ces pièces soient examinées avec soin avant d’être mises en œuvre si l’on veut qu’elles fonctionnent bien sans se détériorer rapidement. L’Etat devrait donc avoir un grand nombre d’agents, toujours présents chez les fabricants auxquels il ferait des commandes, uniquement pour procéder aux visites des pièces d’armes et ce personnel devrait être constamment entretenu pour être prêt à toute éventualité. Sans parler de la position difficile qui serait faite à ces employés, par suite des obsessions auxquelles ils seraient exposés de la part des fabricants, il faut ajouter que cette surveillance privée n’ayant d’autre mobile que l’appât du gain, cherche toujours à se procurer des bénéfices, même en n’exécutant qu’imparfaitement ses engagements. Complètement indifférent au service que sont appelées à faire les armes qu’il fabrique, n’ayant point à se préoccuper des perfectionnements dont elles sont susceptibles et que l’expérience peut faire reconnaître, l’industriel exige avant tout la performance des types, il repousse toute amélioration, et s’il consent à accepter des modifications, ce n’est qu’après s’être fait allouer des dédommagements souvent exorbitants.
 
Enfin, l’Industrie privée érigeant en principe que le travail n’a pas de patrie n’hésiterait pas à chercher à faire passer à l’étranger les armes fabriquées pour l’Etat, si par suite d’éventualités politiques, elle y trouvait un bénéfice. Il faudrait donc que le gouvernement prohibât, dans ces circonstances, l’exportation des armes de guerre, s’il ne voulait être exposé à voir passer à l’ennemi celles qui lui étaient destinées. Ces prohibitions produisent toujours des récriminations de la part des industriels et en tous cas elles ont le grave inconvénient de divulguer des projets que le gouvernement a souvent intérêt à tenir secret.
Ainsi donc l’Etat qui voudrait abandonner à l’industrie privée la fabrication des armes de guerre devrait pour assurer le suivi de son armement, donner des commandes pendant la paix uniquement pour faire vivre cette industrie, entretenir un personnel d’employés pour contrôler cette fabrication et imposer à ces fabricants la défense absolue d’exportation des armes toutes les fois qu’il le jugerait à propos. C’est-à-dire que l’on serait fatalement amené à placer au moins quelques usines particulières dans la situation où se trouvent actuellement les Manufactures Impériales d’armes en France ; en un mot on referait au profit d’autres industriels précisément ce que la force des choses a conduit à faire pour ceux qui sont actuellement les Entrepreneurs des Manufactures de l’Etat.
 
Les considérations qui précèdent ne laissent donc aucun doute sur la nécessité de maintenir fermement le principe de la fabrication des armes de guerre sous la direction et le contrôle immédiat de l’Etat ; cette fabrication fait partie intégrante de la défense nationale dont tous les services doivent être entretenus, même à grands frais, pendant la paix, pour être prêts à fonctionner quand vient la guerre. L’Etat doit donc posséder un nombre suffisant d’établissements pour la fabrication de ses armes de guerre et le rôle de l’industrie privée doit se borner à venir en aide à ces établissements en leur fournissant des pièces d’armes à un degré de fabrication plus ou moins avancé et qui ne seront mises en œuvre qu’après avoir été examinées et contrôlées avec soin.
 
D’ailleurs, dans cette importante question, l’expérience est d’accord avec le raisonnement. Parmi toutes les puissances militaires, aucune n’a voulu confier la fabrication de ses armes de guerre à l’Industrie privée. La Belgique qui possède le centre le plus important de l’industrie armurière n’a pas cru pouvoir le faire et bien que Liège puisse fabriquer annuellement 300 000 armes, le gouvernement belge y entretient une Manufacture d’armes. L’Amérique elle-même, ce pays essentiellement industriel a suivi les mêmes errements. Lors de la guerre de la Sécession, tout en faisant appel à l’Industrie privée, le gouvernement de Washington a donné un grand développement à la Manufacture d’armes de Springfield, et il s’en est bien trouvé, car aucun des nombreux industriels qui entreprirent la fabrication des armes, ne tint ses engagements et la manufacture de Springfield rendit à elle seule plus de services dans ces circonstances que tous les fabricants réunis. Jusqu’à la guerre de Crimée, l’Angleterre avait confié la fabrication de ses armes de guerre à l’industrie privée, elle expia cruellement cette imprudence, car les armes lui firent défaut et elle fut dans la nécessité d’en faire fabriquer à l’étranger, notamment à Liège et en France à la Manufacture Impériale de Saint-Etienne, et il est à remarquer qu’aucune de ces commandes, sauf celle de ce dernier établissement, ne fut exécutée dans les limites fixées par les marchés. Instruit par cette dure leçon, le gouvernement anglais ne recula devant aucun sacrifice pour créer la Manufacture royale d’Enfield malgré les résistances des partisans de l’Industrie, résistances d’autant plus énergiques qu’elles s’appuyaient sur un long usage et sur les idées généralement admises en Angleterre en pareille matière.
Ces exemples, pris seulement dans les pays essentiellement industriels, montrent bien qu’en ce qui concerne la fabrication d’armes complètes, l’industrie privée est incapable de remplacer les Manufactures de l’Etat. Son rôle doit donc se borner à leur venir temporairement en aide par des fournitures de pièces d’armes fabriquées d’après les indications et sous la surveillance immédiate des Officiers et des employés de ces établissements.
 
 
Résumé général des travaux accomplis dans les Manufactures
 

Les développements accomplis dans les manufactures pour l’exécution des grandes commandes d’armes Modèle 1866, peuvent se résumer en quelques lignes. La superficie des Usines et ateliers a été portée de 20 000 m2 à 60 000m2. La force motrice a été portée de 367 chevaux à 1 500 chevaux. Le nombre des machines-outils de 200 à 2 000. Le personnel des contrôleurs de 100 à 180, celui des ouvriers …… de 2800 à 15 000. La production journalière……De 100 à 1 400 armes.
Des résultats aussi considérables obtenus en aussi peu de temps répondent victorieusement aux appréhensions qu’on  avait pu concevoir à l’égard de la puissance productrice de l’Artillerie qui n’avait pas encore été mise à une épreuve de cette nature.
De l’aveu des hommes les plus compétents, le simple sentiment du devoir chez les officiers et employés a produit ce qu l’Industrie eût été incapable de réaliser avec d’immenses capitaux et le seul mobile, si puissant cependant, de l’appât du gain.
 
 
Transformation des armes Modèle 1857 et 1859
 
Dans le but d’augmenter aussi rapidement que possible la quantité d’armes se chargeant par la culasse, il avait été décidé que les carabines Modèle 1859 et les fusils Modèle 1857 seraient transformés d’après le système adopté en 1867. Les Manufactures Impériales devant consacrer toutes leurs ressources à la fabrication du fusil neuf, on eût recours à l’industrie pour la transformation. Les industriels qui entreprirent ce travail étant complètement étrangers à la fabrication des armes, durent faire des études préliminaires, et la plupart eurent à installer de toutes pièces de nouveaux ateliers. Il en résulta du retard dans les livraisons, de sorte que tous les Régiments d’Infanterie avaient reçu le fusil Modèle 1866 au moment où la production des ateliers de transformation devint régulière.
 
La surveillance du travail dans les ateliers des fabricants et la réception des armes furent confiées à des Officiers d’Artillerie et à des Contrôleurs. Mais comme on ne pouvait, malgré ce contrôle, espérer d’obtenir de ces fabricants la perfection de travail qu’on exige des manufactures, toutes les armes furent essayées une à une pour s’assurer du moins que le départ était bon. Ces armes offrent donc les garanties que l’on peut désirer en pareille circonstance, et les troupes auxquelles on les délivrera avec de bonnes cartouches, n’auront pas à se plaindre de leur armement, surtout si le genre de service auquel elles seront appelées n’exige pas que le tir ait lieu à des distances plus grandes que celles qui convenaient au tir du fusil 1857.
 
 
Paris, le 31 décembre 1868
Le Colonel d’artillerie René,
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Message  Baccardi Mar 15 Déc 2020 - 20:54

Les considérations relatives à l'industrie privée sont intéressantes... vues avec nos yeux 160 ans plus tard...

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Message  Verchère Mer 16 Déc 2020 - 0:04

Ça va m'occuper un moment...

C'est la version intégrale du "Rapport René" (SHD/GR 4W488) cité dans l'article "La manufacture de Saint-Etienne" (J-F Brun, Revue Historique des Armées) ?


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Message  Conservateur Mer 16 Déc 2020 - 7:34

Verchère a écrit:Ça va m'occuper un moment...

C'est la version intégrale du "Rapport René" (SHD/GR 4W488) cité dans l'article "La manufacture de Saint-Etienne" (J-F Brun, Revue Historique des Armées) ?

Oui, c'est bien ce rapport ! Je vais attendre un peu avant de continuer à mettre d'autres textes...

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Message  Verchère Jeu 17 Déc 2020 - 5:49

Très intéressant, ce rapport qui décrit en détail les difficultés à tous niveaux pour passer à la fabrication interchangeable mécanisée, surtout au moment d'un changement de système d'armement.
D'un autre côté c'était aussi la bonne occasion pour le faire, mais avec l'exigence de produire immédiatement et en masse, ça faisait beaucoup...

En tous cas merci pour ce rapport, qui depuis la lecture de l'article cité plus haut figurait sur ma liste de courses (avec le mémoire Macquemem & Bourion de 1868, mais celui-ci doit comporter pas mal de pages écrites en pattes de mouche, et nécessiterait une bonne numérisation).

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Message  Conservateur Jeu 17 Déc 2020 - 7:16

Le rapport ou mémoire de Macquemem et Bourion, je ne l'ai jamais vu ou lu, enfin je ne pense pas...
Dans le même ordre, celui de Rayne est aussi un pavé qui contient des infos très très intéressantes, des considérations que l'on avait pas forcément à l'esprit. Ce dernier, sans les très nombreux dessins en marge du mémoire, représente quelques 106 pages de retranscription mais impossible à mettre en ligne sur le forum en une seule fois ! Sauf si tu as une solution ?

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Message  Verchère Ven 18 Déc 2020 - 4:19

Je ne vois guère qu'un fichier déposé pour téléchargement libre sur un site Internet (sur le mien, il y a de la place pour ce genre de choses). Pour du texte avec mise en forme sommaire (comme le "Rapport René" ci-dessus), un format léger genre ".rtf" suffit (le logiciel de lecture, p.ex. WordPad, s'initialise instantanément tandis que les Word, OpenOffice ou LibreOffice démarrent comme des semi-remorques en surcharge).

Mais si j'en juge par les mémoires de L'Hommunal ou Boisseuil (relatifs au Lebel) et par les extraits du mémoire Macquenem et Bourion (in Revue Historique des Armées), l'illustration est un élément indispensable. De plus, le texte ou les schémas seuls ne suffisent pas à comprendre la disposition, l'utilisation et les détails du matériel ; même avec texte et image en regard, c'est pas toujours évident.
Un genre de fac-similé est donc nécessaire, le format optimal étant alors ".pdf" (il peut s'agir d'un texte retranscrit avec insertion des images numérisées, comme le rapport d'essai du pistolet Clair publié par notre ami "Feder").

Si je disposais des éléments nécessaires, je me chargerais volontiers de préparer ces fichiers...

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Message  Conservateur Mar 22 Déc 2020 - 16:58

Voilà en guise d'exemple, un extrait d'un des longs mémoires consacrés à la fabrication des pièces du Chassepot. D'abord un extrait sur la fabrication plus générale et ensuite dans le détail pour le cylindre et le grain !

Fabrication de la culasse mobile
Nomenclature et description
La culasse mobile comprend 15 parties
1/ La tête mobile 2/ Le cylindre 3/ Le grain 4/ Le bouchon 5/ La vis de tête mobile 6/Le chien 7/La noix 8/Le galet 9/Le porte-aiguille 10/ Le ressort à boudin 11/ Le manchon 12/ L’aiguille 13/ La rondelle en caoutchouc 14/ Les goupilles 15/ La pièce d’arrêt
 
La tête mobile : Elle est en acier trempé et recuit au bleu, excepté dans la partie correspondant au trou dans lequel est ajustée l’aiguille ; Cette partie est recuite au jaune paille. On distingue dans la tête mobile le dard qui laisse autour de lui un vide lorsque la cartouche est en place et que la culasse mobile est fermée. Le vide a reçu le nom de chambre ardente. Le recouvrement partie élargi sur laquelle s’appuie la rondelle de caoutchouc et qui préserve cette rondelle du contact immédiat des gaz de la poudre. La tige placée en arrière du recouvrement et qui traverse la rondelle. L’extrémité de la tige est d’un diamètre plus petit et forme ce qu’on appelle le collet terminé à sa partie postérieure par une base cylindrique de même diamètre que la tige. La tige et le collet sont raccordés par une partie tronconique. Le bout de la vis de tête mobile se place dans le collet ; elle maintient la tête mobile dans son logement tout en lui permettant de se mouvoir en arrière sous la pression des gaz.
La tête mobile est traversée par le canal conducteur de l’aiguille, avec le trou intérieur dans lequel est ajustée l’aiguille, et le trou antérieur situé à l’extrémité du dard. La cavité existant entre le trou intérieur et le trou antérieur a pour but de recevoir et de loger les corps étrangers qui pendant le tir pourraient pénétrer par le trou du dard et gêner le mouvement de l’aiguille.

Cylindre : Il est en acier trempé à l’huile et recuit. On y remarque : La tranche antérieure sur laquelle s’appuie la rondelle en caoutchouc ; la gorge circulaire qui permet de refouler le métal en avant et de donner à la tranche un diamètre exactement égal à celui de l’entrée de la chambre ; précaution indispensable pour que la rondelle de caoutchouc, refoulée par l’action des gaz, ne déborde pas autour de la tranche et ne soit pas rapidement détérioré sur son contour. Cette gorge sert aussi à loger l’encastrement qui dans un tir prolongé pourrait encrasser le mouvement de la culasse mobile.
Le renfort dont la partie antérieure vient buter contre la boite de culasse, quand on ferme la culasse mobile, et dont la partie postérieure glisse contre le renfort de la boite de culasse, lorsque l’on rabat le levier à droite. Le levier qui sert à manœuvrer la culasse mobile. Le trou taraudé destiné à recevoir la vis de tête mobile et à loger la tête de cette vis. La fente inférieure, dans laquelle glisse la tête de gâchette, quand on fait mouvoir le cylindre. Cette fente est terminée à sa partie antérieure par un petit plan incliné qui la raccorde avec la surface du cylindre. Ce plan incliné a pour but de permettre à la tête de gâchette de glisser sur le cylindre quand on veut retirer complétement la culasse mobile de la boite de culasse. 3e page…

Fabrication du cylindre
Le métal employé est de l’acier puddlé fondu. Il est reçu en barres de 1m50 de longueur et ayant 35 mm sur 22 mm déquarissage.
Lorsque l’entreprise reçoit un envoi de barres destinées à fabriquer des cylindres, et qu’elle veut les faire employer elle en donne avis à l’artillerie qui donne ordre de procéder aux essais.
A cet effet, on fait fabriquer 35 cylindres pour 500 kg de matières et au dessous - 10 en plus pour augmentation de 500 k en fraction de 500 k jusqu’à 2000 kg - 5 cylindres en plus par 1000 kg jusqu’à 2000 kg – 5 cylindres en fraction de 1000 kg au dessus de 2000 k. Il est accordé 3.6 pour 100 de rebuts.

La fabrication du cylindre peut se diviser en six parties :
1/ Forge du cylindre 2/ Premier apprêtage mécanique 3/ Premier apprêtage à la lime 4/ Deuxième apprêtage mécanique 5/ Finissage du cylindre 6/ Trempe du cylindre.

Forge du cylindre – 1ère chaude –
La forge du cylindre demande 4 chaudes. La barre étant chauffée au rouge sur une longueur de 0,10 m environ, l’ouvrier la place verticalement entre les mâchoires d’un étau qu’il serre fortement la laissant dépasser à peu près de 0,08 m. Aidé de son compagnon, il refoule fortement le métal à coups de marteau l’entaille à la tranche sur une longueur de 4 à 5 centimètres et rabat sur la mâchoire de l’étau une des parties de la barre fendue dans une direction perpendiculaire à celle de la barre. La barre ainsi travaillée est de nouveau placée dans le foyer de la forge.
2e chaude – La barre étant portée au rouge l’ouvrier coupe de longueur la partie restée droite, et refoule la partie coupée à coups de marteau et en frappant sur l’enclume.
3e chaude – La barre portée au rouge est travaillée à la forgeuse américaine. Entre deux enclumes plates on étire et arrondit le cylindre en le rapprochant des dimensions convenables pour l’étampage. Deux enclumes tranchantes font ensuite à la partie postérieure une forte rainure marquant l’extrémité du cylindre et permettant de le couper facilement à la cisaille après l’étampage. Enfin une enclume plane manoeuvrant au dessus d’une enclume à gerde où se place le levier permettant d’arrondir les parties voisines du levier.
4e chaude – La pièce, partie de nouveau à la forge et chauffée au blanc est étampée au mouton, puisqu’elle est séparée de la barre au moyen d’une cisaille à main.
Recuit – L’opération de l’étampage a aigri le métal et il est nécessaire de faire recuire la pièce avant de la soumettre aux autres opérations. Le recuit se donne dans un four chauffé au bois, il faut à peu près 2 heures pour porter les pièces au rouge et 16 heures environ pour le refroidissement.
Ebarbage – L’étampage a formé tout autour du cylindre des bavures qu’il faut faire disparaitre, on se sert pour cette opération d’un balancier. Le cylindre à ébarber est placé dans une matrice qui loge toute la partie inférieure les bavures reposant sur les bords tranchants de la matrice. Le poinçon mobile porte une matrice ayant également la forme du demi cylindre supérieur ; en rabaissant il vient pénétrer à frottement dans la matrice inférieure, embrasse le cylindre et enlève les bavures. Cet ébarbage à la machine peut laisser quelques petites bavures qui sont enlevées à la lime. On donne enfin un coup de lime aux deux extrémités pour aplanir les sections.
Recuit – On donne un nouveau recuit identique à celui qui a été décrit, afin d’adoucir complètement le métal et de le mettre à même de bien supporter les diverses opérations de l’apprêtage mécanique.
Visite – Le contrôleur visite les pièces après le recuit, et s’assure qu’elles ont bien les dimensions.
2e Premier apprêtage mécanique
Il comprend 10 opérations : 1/ Centrer, percer, aléser faire les emboitages et fraiser les demi côtés du renfort et la partie arrondie 4/ Fraiser le dessus du renfort 5/ Fraiser les deux extrémités à 15,3 mm et faire l’emboitage du bouchon 6/ Fraiser les deux côtés du ressort et la partie arrondie 7/ Fraiser le levier 8/ Arrondir le dessus du renfort 9/ Donner un coup de plane sur la tête du levier 10/ Tarauder les deux emboitages.
Ces opérations se font sur un tour ordinaire dans lequel une des poupées porte le cylindre et l’autre l’outil. Le cylindre est animé d’un cylindre mouvement de rotation et l’outil d’un mouvement de translation.
Centrer et percer le cylindre – Le cylindre est fixé entre les deux coussinets d’un manchon, le réglage des coussinets s’opère au moyen de vis disposées à cet effet. L’outil est engagé dans un manchon muni d’une crémaillère que l’on fait mouvoir au moyen d’un pignon et d’une manivelle. Le centrage se fait au moyen d’une tige terminée par une pointe conique, et maintienne bien horizontalement par un support intermédiaire. Le cylindre étant convenablement centré on place dans le porte outil un foret qui perce le cylindre au diamètre de 8 mm.
Aléser le cylindre – Il suffit pour cela de remplacer le forêt par un alésoir qui amène le trou au diamètre de 8,5 mm.
Faire les emboitages – Cette opération se fait encore sur le même tour, et au moyen de forets.
Le premier emboitage destiné à recevoir le bouchon taraudé à 7,2 m de long et 9 mm de diamètre le deuxième à 66,6 mm de long et 10,3 de diamètre.
Fraiser les deux extrémités – Cette opération se fait toujours sur le même tour en employant une fraise qui entame le métal sur le pourtour extérieur du cylindre et sur la tranche. Les deux extrémités sont fraisées au diamètre de 18,5 mm et à la longueur de 8,5 mm à la partie antérieure et de 23,5 mm à la partie postérieure.
Visite – Cette première série d’opérations étant actionnée le contrôleur examine le cylindre et s’assure que les dimensions des diverses parties sont belles celles indiquées.
Centrer et tourner la partie de la tête – Le cylindre est placé dans un conducteur ; on donne un coup de pointeau sur la tête du levier, et l’on détermine ainsi exactement les deux extrémités de l’axe du levier. Cela fait le cylindre est disposé sur un tour où l’on commence à dégrossir la tête du levier.
Fraiser les côtés du renfort et la partie arrondie – Cette opération se fait sur une fraiseuse ordinaire. Deux fraises disposées inversement permettent d’opérer sur deux cylindres à la fois. Le travail étant terminé d’un côté on remplace les deux cylindres l’un par l’autre et on fait l’autre côté.
Fraiser le dessus du renfort – Cette opération a pour but d’amener le renfort à des dimensions voisines de celles qu’il doit avoir. Elle se fait au moyen d’une fraise cylindrique qui laisse après son passage une surface plane sur le dessus du renfort.
Fraiser les deux extrémités à 18,3 mm – Lorsqu’on a fraisé les deux extrémités comme il a été dit précédemment on les emmène seulement au diamètre de 18,5 mm. Ce diamètre est trop fort. Un nouveau fraisage fait sur un tour analogue à celui qui a servi pour la première opération amène les deux extrémités au diamètre de 18,3 mm.
Faire l’emboitage du bouchon – On termine sur le même tour l’emboitage du bouchon qui a déjà été ébauché et on l’amène à des dimensions définitives.
Fraiser les deux côtés du renfort et la partie arrondie – Cette opération se fait sur la même machine et avec les mêmes fraises qui ont déjà servi à ébaucher le travail dans une des opérations précédentes. On amène ainsi le cylindre et le renfort à ses dimensions définitives.
Fraiser le levier – Une fraise présentant le profil même du levier est animée d’un mouvement de rotation. Le cylindre est placé sur un support disposé de façon à ce que le levier tourne lui-même autour de son axe. Toutes les génératrices du levier viennent ainsi successivement au contact de la fraise, et la pièce sort de la machine complètement terminée et à ses dimensions exactes.
Arrondir le dessus du renfort – Le premier fraisage du dessus du renfort a amené cette pièce à peu près à ses dimensions mais l’a laissé plane à sa partie supérieure. Cette seconde opération a pour but en réduisant le renfort à sa forme définitive de l’arrondir à sa partie supérieure. Elle se fait à la fraiseuse. Le cylindre est animé d’un mouvement de translation sur un arc de cercle, mouvement qui lui est communiqué par l’ouvrier au moyen d’une manivelle et d’un engrenage.
Donner un coup de plane sur la tête du levier – Le levier est placé sur un tour. L’ouvrier enlève les bavures qui ont pu se produire et fait les raccordements nécessaires pour les opérations précédentes.
Tarauder les deux emboitages – Ces opérations se font à la main. On emploie quatre tarauds pour chacune d’elles. Quand on taraude la partie filetée destinée à recevoir le bouchon on place le cylindre dans un conducteur qui maintient le taraud et l’empêche de dévier à droite ou à gauche. Dans le taraudage du logement du grain le cylindre lui-même sert de conducteur.
3e Premier apprêtage à la lime
Le travail de la lime se réduit à retoucher les raccords qui n’ont pas été terminés par les machines et à adoucir toutes les parties.
Visite – Le contrôleur s’assure que toutes les pièces ont bien les dimensions voulues que les emboitages sont à leur longueur et que les taraudages sont bien faits.
4e Deuxième apprêtage mécanique
Le deuxième apprêtage comprend 8 opérations : 1/ Percer les 4 trous, 2 pour les crans 1 pour la vis arrêtoir de la boite et l’autre pour la vis arrêtoir de tête mobile. 2/ Refouler, faire la gorge et fraiser le devant à 18,5 mm 3/ Mortaiser les deux crans 5/ Fraiser les 2 rainures, celle de la vis arrêtoir et celle de la détente 6/ Rectifier la rainure de la détente 8/ Poser le grain et fraiser l’évasement.
Percer les 4 trous – Cette opération se fait au moyen d’une machine à percer. Les différents forets portent des poulies qui viennent successivement mettre au contact d’un plateau à friction chargé de leur communiquer le mouvement. Le cylindre est placé dans un conducteur muni de trous à travers lesquels passent les forets. Le conducteur portant le cylindre repose sur la table de la machine, une pédale permet de faire remonter la table et le cylindre avec elle à mesure que le foret, qui est fixe, pénètre plus avant.
Mortaiser les 2 crans – Le cylindre est fixé dans un conducteur qui peut tourner sur son axe et présente successivement à l’outil les parties de la pièce qui doivent être entaillées. Le couteau se meut verticalement il est animé d’un mouvement de va et vient. La marche est réglée de façon qu’il ne dépasse jamais les trous percés dans l’opération précédente et qui doivent limiter les deux crans.
Fraiser les deux rainures – L’arbre de la fraiseuse est muni de deux fraises dont l’une est destinée à faire la rainure latérale l’autre la rainure inférieure. Deux cylindres sont fixés sur le chariot, l’un a le levier horizontal, l’autre vertical. La première passe achevée on remplace les cylindres l’un par l’autre et après une deuxième passe, l’opération est terminée.
Refouler et faire la gorge – Le cylindre est placé sur un tour analogue à celui qui a servi au perçage mais dans lequel, le porte outil est muni d’un appareil portant deux galets en acier fortement trempé. Le cylindre est animé d’un mouvement de rotation autour de son axe. En faisant appuyer fortement les rosettes sur la tranche on amène à refouler le métal. L’ouvrier prend ensuite un burin et fait la gorge.
Fraiser le devant du cylindre à 18,5 mm – Le cylindre passe ensuite sur un autre tour muni d’une fraise. Cette fraise enlève le métal de manière à donner à la tête un diamètre de 18,5 mm et à réduire le cylindre exactement à la longueur qu’il doit avoir.
Rectifier les deux rainures – Cette opération se fait sur deux fraiseuses qui ne diffèrent que par la fraise employée. Ce sont des fraiseuses verticales. Le cylindre est maintenu sur le chariot dans une position convenable pour présenter à la fraise soit la fente latérale soit la fente inférieure suivant la machine dont il est question. Le chariot est soulevé de manière à amener le contact de la fraise et du métal et reçoit un mouvement de translation qui fait passer successivement sous la fraise toutes les parties de la rainure.
Poser le grain et fraiser l’évasement – On passe au villebrequin une fraise dans l’intérieur du cylindre pour enlever les bavures qui pourraient gêner l’introduction du grain. On visse le grain dans l taraudage qui lui a été préparé en se servant d’un tourne-vis manœuvré au villebrequin et que l’on engage dan la fente ménagée dans ce but sur le grain. Le grain étant en place on fraise sa partie supérieure de manière à enlever complètement et qu’il ne soit pas possible de le dévisser. On fait ensuite l’évasement du grain au moyen d’une petite fraise montée sur une machine à percer.
5e – Finissage du cylindre
Le finissage comprend trois opérations 1/ Adoucir les rainures 2/ Fraiser et tarauder le trou de la vis arrêtoir de tête mobile 3/ Percer le trou du grain.
Adoucir les rainures – La rainure de la détente présente à son extrémité un excédant de métal qui n’a put être enlevé par la fraise pour ménager le plan incliné par lequel elle doit se terminer ; l’ouvrier l’enlève au moyen d’un burin, puis les deux rainures sont adoucies au rabot, sorte de lime qui s’y engage exactement.
Fraiser et tarauder le logement de la vis – On fraise le logement de la tête de la vis arrêtoir au moyen d’une fraise mue par un villebrequin. On taraude le trou de la vis au moyen de deux ou trois tarauds, on met la vis arrêtoir à sa longueur, on fait un épaulement à son extrémité en enlevant la saillie du filet et on l’ajuste sur le cylindre en arrondissant la tête.
Percer le trou du grain – On place un conducteur dans le cylindre et l’on perce le trou du grain au foret mue au moyen d’un archet.
Visite – Le cylindre est alors visité par le contrôleur qui en examine toutes les parties, vérifie toutes les dimensions et s’assure que le travail a été bien exécuté. Le cylindre est ensuite porté à l’assemblage où il subit encore différentes opérations qui trouveront leur place quelques pages plus loin.
Fabrication du grain – On emploie de l’acier puddlé fondu, échantillonné en barres cylindriques de 10,2 mm de diamètre. Les essais de métal se font suivant la même méthode que pour le cylindre.
La fabrication du grain comprend deux opérations 1/ La forge du grain 2/ Le taraudage du grain.
1e Forge du grain – La barre est chauffée au rouge, on la réduit au diamètre de 10 mm et la mettant entre des étampes et frappant au marteau. Couper la barre en morceaux de 16 centimètres et recuire au bois.
2e Taraudage du grain – Décrasser à la lime, passer la barre au rodoir de manière à lui donner le diamètre de 9,9 mm. Fileter au cousiner et à la filière simple. Engager cette barre filetée dans un conducteur l’extrémité est arrêtée par un butoir. Couper le grain à la scie circulaire. Pousser la barre pour débiter tous les grains qu’elle peut donner. Enlever les bavures à la lime ; faire une fente à la main. Les grains sont visités par le contrôleur avant d’être employés.

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Message  Verchère Mer 23 Déc 2020 - 6:22

C'est très intéressant !
Je veux bien concéder que pour beaucoup ce soit du chinois, mais je suis certain de n'être pas sur TCAR le seul à comprendre (peut-être pas tout mais presque)...

C'est plutôt une gamme d'usinage, sans détails sur les machines et les outils, qui montre bien la complexité d'une fabrication mécanisée sur des "machines d'opération" (qui ne font qu'une seule opération) ; avec tout de même encore pas mal d'opérations manuelles...
On notera le large recours à la fraiseuse et un usage très limité du rabotage (ici réduit aux deux mortaises) ; on retrouve ça pour le Lebel (mémoire L'Hommunal en 1900), tandis que les Mannlicher 1888 et 1895 font bien plus largement appel au rabotage (raboteuse, étau-limeur, mortaiseuse). Question d'époque ? De culture ?

Outre peut-être quelques fautes d'écriture (ou de transcription), on est troublé par quelques termes qui ont changé de signification (p.ex. "recuit" signifiait alors soit "recuit" soit "revenu", mais selon la température et la durée on fait aisément la distinction), et quelques autres qui surprennent. Le "conducteur", ici c'est souvent un "montage d'usinage" ; ou un "canon de guidage".

Troublé aussi par la mention répétée de "fraise" pour une pièce montée sur un tour...
Les machines de cette époque sont peu connues, elles ont très vite évolué et celles qu'on connaît mieux (époque 1900 / 1920) ne reflètent sans doute pas exactement ce qu'elles étaient 30 à 40 ans plus tôt.
Vers 1910 il y avait effectivement des montages adaptant une tête de fraiseuse sur un tour, et des machines dites "fraiseuse circulaire". Peut-être ces "fraises" étaient-elles un genre de "fraise-cloche" montée sur la contre-pointe, ça s'est aussi fait par la suite...
S'agissant d'un tour à métaux, on s'attendrait à voir plutôt utiliser un "outil de tour", qu'on dénommait alors "burin", et que souvent on tenait manuellement, comme le ciseau d'un tour à bois (j'ai un peu essayé, c'est moins scabreux qu'on croirait mais il ne faut pas exiger des tolérances serrées). Il me semble qu'ici le "burin" n'est cité qu'une fois, pour la gorge placée vers le bout du cylindre ; et vu le contexte, ça pourrait être un burin tenu en main...
A se demander si le chariot transversal équipé d'un porte-outil à déplacement précis, existait déjà...

NB : il faut savoir que les fraiseuses de l'époque n'étaient pas encore la "fraiseuse universelle" qu'on a connu, avec sa tête orientable dans toutes des directions. Il y avait principalement 2 types de fraiseuse, soit à arbre vertical (perpendiculaire à la table), soit à arbre horizontal (parallèle à la table) ; la disposition horizontale étant beaucoup plus rigide (et sans doute moins coûteuse), elle permettait des passes plus fortes et en général si on avait le choix on la privilégiait.


Peut-être faudrait-il donner les informations d'origine : auteur, lieu et date...

Et ce document :
Que doit-on, que peut-on en faire ?
La totalité est-elle disponible ? Transcrit, ou numérisé ? Et les illustrations ?

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Message  Conservateur Mer 23 Déc 2020 - 8:09

Ce document, mais je devrais dire ces documents puisqu'il y en a plusieurs, pour toutes les pièces de la culasse, les garnitures et la monture datent de 1875. Ils ne comportent aucune illustration et ne sont pas ma propriété donc je ne peux pas les reproduire. Ils sont dans une collection privée. Je pourrais demander à son propriétaire s'il accepterait de les faire numériser mais j'en doute...
Il n'y a pas de faute de retranscription, j'ai laissé certains termes tels qu'ils étaient écrits dans le document.

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Message  Verchère Jeu 24 Déc 2020 - 3:18

Conservateur a écrit:... Je pourrais demander à son propriétaire s'il accepterait de les faire numériser mais j'en doute...
On touche là le fond du problème...

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Petite collection de documents anciens et récents : http://p.lacour.malvaux.free.fr/Arquebuses.htm

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