Les 1903 parachutés au Vercors et histoire et évolutions des 1903 Remington

Ayant à la fois la chance de vivre à proximité du Vercors, et d’avoir pour proches amis un fin connaisseur des maquis du plateau et de leur armement et un amoureux des Springfield, il m'est venu l'idée de partager avec vous quelques connaissances que nous avons pu recueillir tous les trois, à partir de pièces de terrain, sur les modèles parachutés et sur les évolutions des 1903 de fabrication Remington. 

Nous essayons également de comprendre pourquoi une partie des premiers fusils produits par Remington entre la fin 1941 et début 1942 sera finalement parachuté sur le terrain « Taille-crayon » à l'été 1944.

J'imagine qu'à ce stade, certains puristes lèvent déjà les yeux au ciel en maugréant que Remington n'a jamais fabriqué de « vrais » 1903, et pourtant, il se peut qu'ils changent un peu d'avis avant d'avoir achever leur lecture.

Mais pour commencer, il faut préalablement revenir sur l'histoire du 1903 et résumer à grand traits ses évolutions successives :

1903 : Adoption du modèle du même nom, chambré pour la cartouche de 30-03 à balle de .220 grains.

1904 : Mise en production

1905 : Refonte du modèle original, abandon de la « baguette-baïonnette », adoption de la baïo 1905 et de la hausse 1905 (appelée fréquement et à tort « Buffington » alors que la vraie hausse Buffington est celle du trapdoor...) modification du pied de guidon et du garde main supérieur pour protéger la novelle hausse plus fragile que la précédente.

1906 : Adoption de la cartouche de 30-06 et adaptation de la hausse 1905 à la nouvelle cartouche par échange de la planchette gradué dont la graduation maximum passe de 2400 à 2800 yards.

1918 : Changement de méthode de trempe des boîtiers et adoption de thermo-couple pour surveiller la température de la trempe.

1919-20 : Les leviers de culasse sont coudés vers l'arrière pour faciliter le tir rapide, ajout de renforts métalliques sur le garde-main supérieur qui change également de forme, devenant franchement convexe. Arrêt de la production de 1903 à l'arsenal de Rock-Island et et remisage des machines-outils spécifique en vue de leur éventuelle réutilisation (Nous aurions été bien inspiré en faisant de même avec celle  destinées à la fabrication du FRF1...). .

1929-30: Altération importante du modèle 1903 avec l'adoption du 1930 A1, comportant une crosse
à poignée demi-pistolet dite crosse « C », dépourvue de rainures de préhension, en lieu et place de la crosse anglaise originale dite type « S ».
Percement d'un trou évent supplémentaire sur la face gauche du boîtier dit « Hatcher's hole » et percement d'un trou évent supplémentaire sous la culasse, à l'arrière de la bague de maintien de l'extracteur.

1938 : Arrêt de la production des 1903 à l'arsenal de Springfield .

Pour clarifier un peu les choses, et malgré sont adoption dans les années 30, le 1903 A1 n'a jamais été fabriqué en grande quantité et ne représentait en 1936, année de l'adoption du Garand M1, qu'une infime partie des 1903 dont disposait l'armée américaine. Qualifier de A1 tous les modèles antérieur au A3 est donc une ineptie, hélas trop souvent répétée .





Mais revenons à l'histoire des 1903 de fabrication Remington: Entre l'été et la fin de 1940, les anglais,  menacés d'une invasion terrestre par l'Allemagne nazi,  essaient d'acquérir tous les fusil qu'ils peuvent acheter au USA encore neutres. Pour épargner les stocks du modèle 1903 devenus fusil de réserve de l’Army et qui reste le fusil réglementaire de la Navy, donc des Marines, , les américains commencent par leur fournir des USM1917.  Et fin 1940, envisagent enfin de confier la reprise de la production de 1903 à une firme privée, et début 1941, Remington Illion se voit confier le contrat et récupère les machines stockées à Rock-Island.

Mais comme la fabrication de N°4 s’accélère grâce à la production massive de l’arsenal canadien de Long-Branch et au contrat passé avec Savage, les besoins en fusils de l’armée anglaise sont couvert avant que la production n'ait commencée à Illion,, ce qui entraîne l’annulation du contrat britannique pour la fourniture de 1903.  Cependant, et pressentant une prochaine entrée en guerre des états-unis, le secrétariat à la guerre US reprend le contrat à son compte.

Du moins, c’est ce que raconte la version officielle, parce qu’en 1999, on a « découvert » que les anglais avaient reçus au moins 200 fusils 1903 Remington de tout début de production :
https://www.remingtonsociety.org/the-red-star-remington-03-rifles/

Côté américain, la version officielle est qu’à l'automne la production débute, et que les premières armes sont réceptionnées par l'Ordnance juste après l'attaque sur Pearl-Harbor.  La situation change alors radicalement, et la course à la production est lancée sans délai.

Mais tout d’abord, et pour mieux comprendre ce qui va être changé, regardons de plus près à quoi ressemble un 1903 « Première guerre mondiale».

Pour ça, nous avons la chance qu’un ami collectionneur ait gentiment accepté de me confier (seulement le temps de quelques photos, hélas…) un 1903 Springfield de parachutage, mais fabriqué en 1909, recanonné en 1915 et qui s’est vu ajouté un second tenon anti-recul à l’avant du magasin (alors qu’il n’en avait qu’un sous le « cut-off » à sa sortie d’arsenal en 1909) , tout en conservant sa détente lisse « fine », ce qui pourrait presque laisser supposer qu’il est arrivé en France en 1917-18 et y est resté depuis, si son « windage knob » n’était pas d’un modèle plus récent, donc changé après 1918.

Place aux photos :



Détail de l'arrière du boîtier dont le trou de vis est borgne, la noix de percuteur est striée et cannelée, et  le levier de culasse est perpendiculaire à l'axe de celle-ci







La hausse 1905 graduée jusqu'à 2800 verges comporte 4 crans de mire et un œilleton, le cran de mire à 2800 étant entaillé directement au sommet de l'échelle graduée, légèrement déporté sur la gauche. D'ailleurs, sur la hausse modèle 1905,  le vernier corrige automatiquement la dérive gyroscopique puisque la planchette se déplace vers la gauche au fur et à mesure de son élévation, un raffinement inconnu sur d'autres armes d'infanterie de l'époque.




Le garde main du deuxième type comporte deux agrafes de renfort, mais conserve son profil presque concave, le support de pied de hausse intègre deux fraisages d'allègement.



La détente fine et bien dessinée est lisse, conforme à ce qu'elle doit être sur un 1903 de cette époque.




La plaque de couche est également lisse (mais hélas, bien corrodée )






Voyons à présent notre "mètre étalon" sortis d'un arsenal d'état en 1909 comparé à ses descendants fabriqués par l'industrie privée 32 ans plus tard:



 


Le voici tout en haut (noblesse oblige) avec au dessous le 1903 Remington 3029***, puis le 1903 Remington 3034***, le 1903 Remington 3334***, et enfin le Remington 1903 A3 N° 3527***.  Contrairement aux quatre premiers, ce dernier ne vient pas du Vercors mais de la poche de Colmar et plus précisément d'un sous-officier d'un RTM engagé dans les combats de la libération de cette belle commune d'Alsace. 

Mais il est tellement beau, tellement neuf que je ne résiste pas au plaisir de partager cette image avec vous. Pour finir de vous aguicher, l'intérieur de son canon est aussi neuf qu'il est possible de l'être.   


Pour en revenir à nos moutons, on voit immédiatement que le 1903 Remington a un levier de culasse droit, un trou évent à droite et des rainures de préhension sur le fût comme son aïeul Springfield:



Seule différence, les fraisages d'allègement du pied de hausse ont disparus. Et la noix de culasse est une Bay Product:




Mais le plus étrange, c'est ce levier droit qui devrait être légèrement déporté vers l'arrière, comme celle du 3034***,  voyons donc cette culasse de plus près:





Un petit trou évent, un levier droit et le marquage S35, la noix de percuteur cannelée et striée, ce n'est pas une culasse Remington comme celle du 3034***, mais un de fabrication plus ancienne mais montée d'origine en janvier 1942.





En haut celle du 3029*** et au dessous celle du 3034***, qui elle est bien marquée R sur la noix de culasse et sous le levier.


Nous venons de voir que la seule différence notable entre le Springfield 318*** et le Remington 3029*** était la disparition du fraisage de pied de hausse, mais était-ce le cas de tous les Remington?  Pas vraiment:







L'épave du 3022*** a un pied de hausse en tous points conforme au standard Springfield, il y a donc bel et bien eu "d'authentiques" 1903 fabriqués chez Remington.

Très intéressant, continue, continue....

Regardons à présent la face gauche de nos deux compères:





On voit que si le Remington 3029*** a bien deux tenons anti-recul, il a aussi un trou évent supplémentaire, juste au dessus du tenon avant. Et accessoirement que sa détente a été dessinée par un enfant maladroit, comme celle de tous ses copains Remington...

Merci caudron pour ce bel article plein d'infos interessantes 
Vraiment de très beaux exemplaires de 1903 ou l'on perçoit clairement les modifications au fur et à mesure des années.
Bien à toi, 

Bishop 

Sa plaque de couche est bien lisse:




Sa grenadière, son garde main du type convexe, son embouchoir et son tenon de baïonnette sont bien conformes au modèle de fin de production Chez Springfield:

Voyons à présent ce qu'il en est du 3034***, fabriqué quelque semaines après le 3029***:




Si ça plaque de couche reste lisse, son boîtier subit une première altération, le filetage de la vis arrière devient débouchant:





Et les rainures de préhensions disparaissent sur son fût:





Comme vous le voyez, il est équipé d'une reproduction de bretelle modèle 1923, car lorsqu'il m'est parvenu, il était équipé de l'originale qui est précieusement stockée dans mon coffre.

Comme le 3029***, il a aussi deux trous évents, mais contrairement à son aïné, il a conservé de beaux marquages: 

Super article Jean
Plus sympathique à lire qu'un livre et en français 
J adore le 1903

Merci les gars! Vos encouragements me vont droit au cœur, la suite demain.

Merci pour cet article "Monsieur".....c'est passionnant et excellent Jean !
 
Amitiés....
Marc.

Bonjour. Sur le Remington numéro 3004xxx, le boîtier comprend les cannelures d'allègement. Le levier d'armement est coudé vers l'arrière. La noix de culasse est identique à celle du Springfield et bien marquée du R. Il n'a pas d'évent sur le côté gauche du boîtier. La hausse n'a pas de cran de mire au sommet. La monture a les 2 tenons de recul ainsi que les cannelures de prise en main. La plaque de couche est lisse, la détente aussi. Le canon est bien un Remington daté 10-41. Sauf erreur, le fusil date de décembre 1941.

...Rien à voir avec les tristes "machines à points" avec crosse neuve, bedding et canon Criterion qui me venaient à l'esprit quand on évoquait cette arme.

 Les pièces présentées ici sont de véritables trésors. 

 Merci pour cette présentation grâce à laquelle je redécouvre le 1903 sous l'angle doublement passionnant de l'évolution de sa fabrication, et de sa participation à l'armement d'un maquis emblématique. 

 Maintenant ce sont eux que je verrai en pensant au 1903, et je me dirai "en plus, c'est beau ! "

Bonjour Caudron
Respect total, réglementaire et à 6 pas ! Ton nom de guerre sera désormais 1903 
Tout simplement passionnant et bien écrit car c’est une connaissance parfaitement maîtrisée. Des photos très informatives illustrent le texte. Et ce n’est pas fini ! 
Bref, une étude qui fait gagner de la notoriété au forum. Mais oui, il faut le dire.

Caudron a écrit:Merci les gars! Vos encouragements me vont droit au cœur, la suite demain.

j'ai hâte,  j'ai hâte !!!

Pareil que les copains!

J'attends la "suite" avec fébrilité...vivement demain

super article! les photos sont très belles également...La suite!

Envisagerais tu de mettre ça en PDF ?
Parce-que sur le net, la pérennité est loin d'être assurée.

walker33 a écrit:Bonjour. Sur le Remington numéro 3004xxx, le boîtier comprend les cannelures d'allègement. Le levier d'armement est coudé vers l'arrière. La noix de culasse est identique à celle du Springfield et bien marquée du R. Il n'a pas d'évent sur le côté gauche du boîtier. La hausse n'a pas de cran de mire au sommet. La monture a les 2 tenons de recul ainsi que les cannelures de prise en main. La plaque de couche est lisse, la détente aussi. Le canon est bien un Remington daté 10-41. Sauf erreur, le fusil date de décembre 1941.

Merci de ton intervention qui prouve qu'il y a eu au moins un exemplaire dépourvu du "Hatcher's hole", pourrais-tu nous faire quelques jolies photos et les ajouter à ton témoignage?

Comme cette version n'était encore documentée, (y compris par la littérature US ou par l'article  "Red Star 1903") j'ose l'hypothèse que Remington  a non seulement récupéré les machines-outils provenant de l'arsenal de Rock-Island, mais également un stock conséquent de pièces détachées des arsenaux d'état, dont des culasses et des boîtiers non marqués, ça expliquerait bien la présence d'une culasse S35 fabriquée entre 1906 et 1908 sur le Remington 3029*** et l'absence de Hatcher's hole sur le N° 3004***, fabriqué à partir d'un boîtier de culasse d'ancienne génération, mais finalement frappé par Remington.

J'en profite pour appeler chacun des lecteurs de ce sujet qui voudrait à leur tour apporter leur pierre à l'édifice, à me joindre par messagerie privée pour apporter leurs témoignages, ceci pour conserver un maximum de lisibilité à cet article. Comme pour Walker 33, ils seront bien évidemment cités et ils conserveront la paternité de leurs éventuelles découvertes. Ça coule de source, mais ça va mieux en le disant.

Suite à l'intervention de Walker33, je m'aperçoit que j'avais oublié de signaler un détail qui différencie la production Remington de celle des anciens Springfield: La disparition du cran de mire 2800 verges, comme on le voit clairement sur cette photo:







Mais comme la page 11 du manuel TM 9-1270 illustre une hausse 1905 dépourvue de cet élément:


 



je me demande si cette modification ne concerne pas également les Springfield des années 30 ?

Et pour clore (jusqu'à plus ample informé) le chapitre sur la série des Remington de la frange des 3 02* ***, je vous présente le 3 026 722 qui fit la couverture de la gazette des Armes N°131 de juillet 1984 que je possède en version grand album depuis le début des années 90:







Désolé, je ne parviens pas à mettre la photo dans le bon sens   Mais on y voit clairement qu'il a une culasse bronzée noir, apparemment Remington, avec un levier ramené vers l'arrière, conformément aux directives en vigueur depuis les années 1920. Ce fusil provient des combats de la libération de la région de Marseille, et probablement d'une unité de l'armée B, qui deviendra 1ére armée française en septembre 1944 et sera surnommée "Rhin et Danube" à la fin de la seconde guerre mondiale.

J'avoue que cette photo a beaucoup influencé mon intérêt pour les 1903 Remington, et que l'achat du N° 3029*** m'a été en partie dicté par le fait qu'ils ne sont séparés que de quelques 3000 exemplaires.

Bonjour Major , 
je vais essayer de trouver le temps d'aller l'examiner de plus près et de relever son N° de série,  car il me semble qu'il n'a pas, lui non plus, de trou évent côté gauche, ce qui ferait un deuxième exemplaire de ce type avec clui cité par Walker33.   De plus en plus intrigant tout ça.

TOMEÏ a écrit:Bonjour Caudron.




Un de ceux parachutés sur le terrain «taille crayon» de VASSIEUX en Vrs le 14 juillet 1944.
Il se trouve au Musée de la Résistance du village.

Bonjour Major , 
je vais essayer de trouver le temps d'aller l'examiner de plus près et de relever son N° de série,  car il me semble qu'il n'a pas, lui non plus, de trou évent côté gauche, ce qui ferait un deuxième exemplaire de ce type avec clui cité par Walker33.   De plus en plus intrigant tout ça.